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le dragon rouge.

— Je me blâme, je ne me plains pas, mademoiselle.

— De quoi vous blâmeriez-vous ? Je sais que je ne mérite pas le dévouement chevaleresque dont vous venez de faire preuve ; j’avais même prévu que vous pourriez un jour vous en faire une arme contre moi ; mais je pensais aussi que la meilleure manière de me punir pour avoir exigé de vous ce dévouement, c’était de ne pas le montrer, de brûler tout simplement ma lettre. Vous ne l’auriez jamais reçue. Il est bien tard, ajouta-t-elle, pour vous plaindre d’avoir eu cette faiblesse pour moi.

— Je ne me plains, en ce moment, dit le commandeur, puisque vous voulez voir une plainte dans mes paroles, que de ne pas avoir été tué par les sentinelles qui ont tiré sur moi lorsque je franchissais, en déserteur, les dernières lignes du camp. Je ne recevrais pas aujourd’hui des reproches là où j’espérais rencontrer de la pitié, au moins de la pitié, répéta le commandeur en présentant à Casimire, d’une main tremblante, le mouchoir brodé qu’elle lui avait permis d’emporter le jour des derniers adieux. Il foulait ce mouchoir de manière à cacher les traces de sang dont il était marqueté.

Casimire tendit à regret la main pour recevoir le tissu ensanglanté.

— Vous avez été blessé, monsieur, dit-elle d’une voix touchante. Ah ! je n’en savais rien…

— Prenez ! qu’importe ? murmura le commandeur.

— Mais il est à vous, monsieur, il est à vous. Je ne reprends plus ce que j’ai une fois donné.

— Casimire ! les larmes auraient dû en effacer le sang ; mais les larmes sèchent toujours plus vite, ajouta-t-il d’un accent mêlé d’ironie et de douleur.

— Vous me cachez quelque chose, monsieur, dit-elle ; assurément vous me cachez quelque chose, et c’est mal. Ma pauvre tête est faible. Ayez pitié du désordre que vous aurez peut-être remarqué dans mes idées, du trouble de mes paroles,