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le dragon rouge.

net au milieu duquel s’élevait, sur un socle d’ébène, un tombeau de marbre noir.

À peine Casimire et le commandeur furent-ils dans ce caveau funèbre qu’une figure blême et pointue parut au-dessus du tombeau ; c’était celle du marquis.

— Veuillez m’attendre un instant, dit-il à ses visiteurs ; je dois vous épargner la peine de monter.

Il jeta une petite échelle hors du tombeau, et, par les bâtons de cette échelle, il se glissa jusqu’à terre. Il est inutile de dire la couleur lugubre de son costume.

— Mon frère, pourquoi avez-vous pris cette livrée de douleur ? lui dit d’abord le commandeur en le pressant tendrement dans ses bras.

La décoloration et la maigreur du marquis étaient vraiment effrayantes.

— Pourquoi ? répondit-il ; parce que la seule femme que j’aie aimée au monde m’a trompé. Mais vous êtes en deuil, vous aussi, mademoiselle, dit-il à Casimire ; vous aurait-on trompée ?

— J’ai perdu mon père.

M. de Canilly est mort ! s’écria-t-il. Il se reprit tout de suite pour ajouter : — Alors vous êtes comtesse !

— Je suis une exilée ; mon père a eu la tête tranchée sur l’échafaud.

Une longue pause précéda l’instant où le marquis de Courtenay reprit :

— Et tous vos biens sont confisqués ; c’est la loi, je la connais. Eh bien ! dès ce moment, dit le marquis du ton le plus naturel du monde, tous mes biens sont à vous ; ne me laissez que la part qui me sera nécessaire pour vivre ou plutôt pour mourir.

— Je vous remercie de votre générosité, monsieur le marquis… Mais je n’en ai pas besoin.

— Et de quoi vivrez-vous ? N’est-ce pas, mon frère, que mademoiselle ne doit pas refuser, puisqu’elle ne le pourrait