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le dragon rouge.

pas ce que cela m’a fait intérieurement, continua le marquis avec une franchise touchante ; mais j’ai couru les rues, les campagnes, comme un fou ; je suis resté deux jours entiers sans manger, je n’ai plus dormi… et je ne dors pas encore bien, ajouta-t-il timidement.

— Oh ! monsieur le marquis, s’écria Casimire, combien j’aurais voulu prévoir vos intentions, vos desseins, qui m’étaient si cachés, afin de les détourner aussitôt ; vous auriez moins souffert, et moi aussi.

— Et nous aussi, murmura le commandeur.

Le silence qui se fit tout à coup dans ce cabinet sépulcral, après ces paroles, eût été d’un effet sinistre pour des témoins.

— Mais si vous ne m’aimez pas, reprit ensuite le marquis en prenant dans une de ses mains celle de Casimire et dans l’autre celle du commandeur, je sais, dit-il avec un ton de conviction profonde, je sais que vous n’aimez personne ; si vous eussiez aimé quelqu’un, vous me l’eussiez dit.

Comment le marquis de Courtenay ne sentait-il pas en ce moment le froid de la couleuvre se glisser dans la main de Casimire qu’il tenait dans la sienne ?

— Ou du moins, reprit-il, vous me l’eussiez laissé comprendre. Or, insista-t-il, vous n’aimez personne. Quant à vous, mon noble frère, le commandeur, je ne crois pas que vous aimiez jamais ; mais, je vous l’avoue, cela au fond m’importe peu ; il m’importe uniquement que vous soyez heureux.

Ici le marquis s’arrêta ; le fil de ses idées se perdit, s’embrouilla ; son front se plissa de mille plis ; il avait l’air d’un homme ou plutôt d’un enfant qui s’éveille le matin dans l’endroit où il ne s’est pas couché le soir.

— Que disais-je donc ? demanda-t-il après un temps de repos que respectèrent le commandeur et Casimire toujours retenus par les mains du marquis.

— Vous parliez, mon frère, de l’intérêt que vous aviez à me savoir heureux. Mais pourquoi ?…