d’autres yeux pourraient, à beaucoup d’égards, suppléer mes yeux, et d’autres intelligences étudier pour le charme de la mienne. J’ai dû chercher enfin autour de moi ceux qui pourraient voyager à ma place, afin de me dire, au retour, avec la primeur de la nouveauté et comme si j’avais voyagé moi-même, tout ce qu’ils auront recueilli de curieux, d’étrange, d’émouvant, d’intéressant surtout.
Vous êtes ceux qu’après des comparaisons nombreuses j’ai distingués et choisis ; j’ai l’orgueil de croire à la supériorité de mes préférences. L’argent que j’aurais dépensé à moi seul en visitant le monde entier, vous le dépenserez partiellement chacun de votre côté. Les uns iront au Nord, les autres à des points opposés ; l’Espagne aura ses voyageurs, l’Italie les siens. Au lieu d’ambassadeurs j’aurai mes coureurs dans chaque contrée, et dans chaque contrée chacun de vous pourra séjourner pendant un espace de temps qui variera depuis deux mois jusqu’à deux ans, en sorte, que, pendant quinze jours, j’aurai régulièrement un de vous près de moi, un de vous qui me racontera ce qu’il aura recueilli dans l’intention plus ou moins heureuse d’égayer ma solitude. Je ne vous demande que quinze jours de confidence sur deux ans d’une existence que je vais sans peine vous rendre mille fois plus agréable que celle que vous menez à Paris, où vous êtes loin d’être aussi favorisés que vous le méritez. Je vous connais tous. Avec de l’esprit, vous n’arrivez pas au milieu de tant de sots en pleine prospérité ; vous avez du talent, et vous ne savez à quoi l’employer. Vous êtes fiers avec raison, et pour cela vous faites des efforts surhumains, chaque matin, pour savoir comment, sans bassesse, vous dînerez le soir. Tous les plaisirs sont à votre portée ; ils effleurent vos doigts, et vous ne touchez à aucun. Sous un visage riant vous cachez le désir, l’envie et la tristesse, souvent le désespoir.
Mon projet vous sauve tous : vous voyagerez comme de grands seigneurs, vous vivrez dans le meilleur monde, vous