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le dragon rouge.

C’était donc dans l’espoir d’une guerre qu’accouraient à Paris tous ces fils de famille, bouillants de jeunesse, disposés à conquérir le monde et ses planètes, si l’occasion leur en était offerte.

Ce déplacement général d’une jeunesse fort brave, mais fort dissipée, ne contribuait pas à sanctifier les mœurs assez décolletées de la facile et brillante société parisienne. En attendant de prendre d’assaut des villes ennemies, elle livrait la guerre aux ménages, faisant contribuer l’honneur des maris, et passant au fil de l’épée la réputation des femmes ; on n’avait jamais autant entendu parler d’enlèvements, de séparations, de prises de voile, de duels.

Chaque jour se levait sur une intrigue et se couchait sur un scandale.

Les Nouvelles à la main, premier germe du journalisme, et du journalisme décent que vous savez, n’avaient pas assez de place pour enregistrer les faiblesses dévoilées des grandes dames. Malgré la Bastille, les îles Marguerite, Saint-Pierre-Encise, dont les portes s’ouvraient si souvent devant les duellistes, le duel dépeuplait les familles après les avoir déshonorées. Le duel était d’ailleurs au bout de tout ; il était le fermoir du cercle de chaque passion. Se disputait-on au jeu ? le duel couronnait la dispute. Était-on en rivalité auprès d’une femme ? le duel simplifiait la position de la femme que le plus souvent aucun des deux concurrents n’aimait. On se battait pour tout et pour rien. « Je gage que la première goutte d’eau qui tombera mouillera ce pavé ; moi je gage qu’elle mouillera celui-ci : celui qui gagnera aura le choix des armes. » Quoi qu’il arrivât, il était sous-entendu qu’on se battrait ; mais pour quel motif ? pas de motif. Deux jeunes gens en sortant de l’Opéra, deux amis de collège, deux parents peut-être, remarquent qu’il fait un clair de lune magnifique ! « Quel dommage de perdre un si beau clair de lune, dit l’un ; et de ne tirer aucun parti d’un espace si propice, si bien aplani, dit l’autre. Ma foi, reprend