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le dragon rouge.

— Maman ! qu’avez-vous ? s’écria la jeune fille effrayée.

— Ma fille ! tu ne veux donc pas que je t’embrasse ? Oh ! laisse-moi t’embrasser.

— Vous m’avez arrêtée au milieu d’un bien beau rêve, maman : je me mariais avec mon oncle le commandeur.

— C’est qu’il est vivant alors ! s’écria la marquise en serrant encore avec plus de violence contre son sein ému sa chère enfant. Dieu me le dit.

Elle imprima sur la bouche de sa fille un baiser dans lequel elle parut vouloir reprendre la vie que sa fille tenait d’elle.

Cette femme si forte avait pleuré pendant la nuit dans les bras de sa nourrice, et un rêve de sa fille, d’une enfant, lui suffisait pour la confirmer dans la pensée étrange, dans l’espoir extraordinaire que l’homme aimé d’elle, que chacun lui disait être mort, était vivant.


xxix

Le dragon avait quitté Paris, et personne ne sut où il était allé. C’était, du reste, dans ses habitudes de s’en aller ainsi sans bruit, à en croire la silhouette donnée de son caractère par le crayon de la renommée. Au bout de quelques jours, il eût été probablement oublié de tout le monde, s’il n’eût laissé derrière lui, non pas un mort seulement, ce qu’on oublie encore plus vite qu’un absent, mais la victime du drame dans lequel il avait été acteur et provocateur. Paris n’oublia pas la marquise de Courtenay ; elle avait, depuis longtemps, à se faire pardonner l’immense prospérité d’une position trop brillante.