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le dragon rouge.

Je suis effrayée d’être si loin de vous. Je suis heureuse, mais j’ai peur, ah ! bien peur.

« Votre fille bien aimante et bien-aimée,

« Léonore. »

— Marine, dit la marquise, je suis menacée de quelque épouvantable malheur. Je n’ose pas ouvrir ces trois autres dernières lettres. Ma vie est là.

— Aie confiance, reprit Marine.

— Confiance en quoi ? répondit la marquise, en jetant à la face du ciel le mépris silencieux des athées.

Enfin, elle ouvrit une des trois dernières lettres. Celle-là était encore écrite de la même main inconnue, et se renfermait dans la même brièveté :

« Faites revenir au plus vite vos enfants. »

— Mais comment ? mais comment ? dit la marquise, épouvantée de ces avertissements mystérieux. Puis elle ajouta :

— Huit mois se sont passés depuis que cet avertissement m’est donné, huit mois !

Finissons-en, se reprit la marquise en affrontant le contenu des deux dernières lettres. Celle-là est de Léonore. Lisons :

« Chère maman,

« La seconde fête eût été aussi attrayante pour nous que la première si mon frère, Tristan, n’eût pas joué toute la nuit avec don Alvarès, qui lui a gagné sur parole huit cent mille livres. »

— Huit cent mille livres ! s’écrièrent la marquise et Marine.

« Tristan est désespéré. Il faut qu’il paye et il n’ose vous avouer sa perte. C’est donc moi, chère maman, qui me charge de vous annoncer ce malheur. Prenez sur mes biens, s’il le faut, pour acquitter au plus vite cette dette, car l’on dit à l’ambassade que l’honneur de notre maison s’y trouve engagé. Ce n’est pas que don Alvarès exige cette somme ; au contraire, il m’a dit avec beaucoup de courtoisie qu’il ne se souviendrait de la dette de mon frère que le jour où il aurait