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Page:Gozlan - Les martyrs inconnus, 1866.djvu/281

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madame, ainsi qu’à celle de monsieur, pour leur annoncer, selon l’usage, que le thé les attendait.

Plus forte que leur rancune, l’habitude les réunit l’un et l’autre autour de la théière, Ambroisine, dans un élégant peignoir de flanelle anglaise, Vaudreuse dans sa robe de chambre.

En gens bien élevés, ils évitèrent de revenir sur les motifs de leur rupture, fait arrêté, près de s’accomplir ; ils avaient même trop de dignité pour laisser paraître quelque regret de leur action. On eut les mêmes égards réciproques, les mêmes attentions qu’autrefois dans cette première entrevue matinale. Seulement Vaudreuse, qui s’était accoutumé à savourer sa tasse de thé au son d’un morceau exécuté sur le piano par Ambroisine, attendit inutilement ce délicieux accessoire. Ambroisine resta à sa place ; Vaudreuse n’eut pas de musique. Aussi lui fut-il impossible de prendre sa tasse de thé. Six fois il la porta à ses lèvres, et six fois il la remit plus froide devant lui. Terrible esclavage que l’habitude ! pensa-t-il ; mauvais pli de prendre du thé en musique. C’est une habitude à perdre ; je la perdrai. Et il ajouta mentalement :

— On dit que Napoléon resta trois jours sans priser, faute de tabac, pendant la campagne de Russie. Fameux exemple d’habitude domptée. Je me dompterai.

Pourtant Vaudreuse ne toucha pas à la tasse de thé, et il passa en soupirant le long du piano muet.