Page:Gozlan - Les vendanges, 1853.djvu/118

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curé accompagné de son vicaire, un homme gigantesque, surtout à côté de son supérieur, délicat, châtain clair, frêle comme un épi de l’arrière-saison. En les voyant entrer, Richomme faillit renverser deux tables de jeu, tant il s’élança vite vers eux. Autre accomplissement de ses espérances d’autrefois : recevoir chez lui, admettre à son foyer la personnification de tous les bons prêtres connus au théâtre et dans les livres ; d’abord le bon pasteur de l’Évangile avec un mouton sur le dos, les anciens Pères de l’Église, qui avaient une croix de bois, Fénelon, le cygne de Cambrai, Vincent de Paul, les moines du mont Saint-Bernard, le bon prêtre de Paul et Virginie, le Vicaire savoyard, le père Aubry, Las Cases, et le curé si attendrissant dans la Cure et l’Archevêché de la Porte-Saint-Martin. Quoique la tradition n’ait pas encore exalté au même degré l’humanité des vicaires, Richomme eut autant d’égards pour celui de son curé que pour le curé même, qui s’assit après quelques compliments froids, mais assez bien tournés, entre madame Richomme et le plus jeune des Thompsay. Trop occupé de cette dernière réception, l’heureux droguiste ne remarqua pas l’indifférence presque impolie avec laquelle M. de La Gâtinière avait répondu aux salutations respectueuses des Anglais. Le vicaire avait imité cette réserve, mais en y mettant une intention beaucoup moins directe.

Ce vicaire, qui se nommait Troussier, était bien le plus bel homme du clergé français, depuis Bossuet et le cardinal Fleury ; mais il était aussi l’homme le plus malheureux de sa beauté, à cause de son curé, dont, malgré lui, par son voisinage, il abaissait encore la taille, et anéantissait, pour