Page:Gozlan - Les vendanges, 1853.djvu/158

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lui. Et puis, il avait une pensée cachée. Si son gendre était nommé député, lui alors reprenait le timon des affaires, redevenait droguiste, comme auparavant ; le Balai d’or remontait sur l’enseigne. Fournisseaux avait comme deviné cet espoir derrière la discrétion de son maître, qu’il admirait plus que jamais, ils passèrent une belle nuit ensemble, celle qui réunit le jour de l’assemblée préparatoire au jour de l’élection définitive. Profitant du trouble où flottaient les idées de Fleuriot, ils étendirent sur toutes les couleurs éclatantes du magasin une composition qui les altéra, les vieillit et leur rendit leur effet terne, insignifiant et pâle. Sous l’action du procédé chimique, les dorures s’éclipsèrent ; enfin, il ne resta bientôt plus que l’enseigne du Balai d’or à reclouer au fronton de la porte pour que la restauration fût complète. Deux antiquaires enfouis dans les catacombes d’Herculanum ne s’entendraient pas avec plus d’accord et de mystère pour lire dans les lambeaux à demi consumés d’un manuscrit, que Richomme et Fournisseaux ; pour rendre au magasin de drogueries sa physionomie de vétusté.

Ce fut pendant l’œuvre de cette nuit de bonheur que Fournisseaux, enhardi par l’égalité d’une commune joie, dit à son maître :

— Il y a beaucoup de gens qui seraient heureux de subir le sort de ces boiseries.

— Que veux-tu dire, Fournisseaux ?

— Qui ne demanderaient pas mieux, je veux dire, de redevenir tels qu’ils étaient avant d’être peints et dorés.

— C’est grave, ce que tu penses-là, Fournisseaux.

— Alors vous m’avez compris, reprit le commis en re-