Aller au contenu

Page:Gozlan - Les vendanges, 1853.djvu/179

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quée par une superbe pendule de Leroy, provenant du pillage de l’hôtel de la princesse de Lamballe, ce qu’apprenait un écusson aux armes de France et de Savoie, peint bleu et rose sur le cercle horaire ; des groupes nouveaux faisaient remuer les flottantes draperies des arcades auvent des plumes et des aigrettes. Ce soir-là, on allait jouer la comédie dans les beaux salons de l’hôtel Ervasy. Les acteurs étaient des personnes de qualité. Un marquis avait écrit une comédie en trois actes et en vers, pleine d’esprit, comme le sont du reste toutes les comédies en vers écrites par des marquis : deux choses rares en 1840, les marquis et les vers ! Un grand seigneur hongrois remplissait le rôle du jeune premier ; une comtesse russe faisait une paysanne ; un nabab cent fois millionnaire portait une lettre. Comme on allait s’amuser !

Tandis que madame Ervasy veillait aux derniers préparatifs de la représentation de cette fameuse comédie, tandis qu’elle se multipliait pour recevoir ses invités et encourager sa troupe, son mari se promenait dans une pièce latérale avec un homme fort grave qui ne portait aucune décoration à sa boutonnière. C’était assurément un grand personnage ; peut-être le prince du sang, dont l’équipage était arrêté dans la cour de l’hôtel. C’était lui. Il ne s’agissait pas moins pour le prince que d’un emprunt considérable, sans lequel il ne pouvait faire la guerre qu’il méditait. Le prince s’échauffait, priait, recommençait cent fois, on le voyait à ses gestes, les mêmes protestations devant le banquier, qui, calme, indifférent, ne demandait pas moins qu’une île entière des Antilles, une des plus riches, comme garantie de l’emprunt. Un quart de l’équateur !