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Page:Gozlan - Les vendanges, 1853.djvu/221

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Il est de coutume établie qu’une grisette mange au spectacle autant qu’elle s’amuse. Au premier acte Reine prit une limonade, au second une groseille, au quatrième une glace.

Qu’on ne demande pas si Ervasy fut ravi en voyant cette jeune fille rire, pleurer, frémir, manger des gâteaux, applaudir, s’élancer hors de la loge et avoir peur de gâter, sa robe de trente-cinq francs.

— Tu es charmant ! lui dit-elle, dans un moment où l’ivresse du spectacle faisait sur elle l’effet du vin de Champagne. Tu es charmant ! — Va m’acheter deux sous de galette au Gymnase.

Eryasy, qui ne redoutait plus la délation du grand jour, courut à toutes jambes, chercher, à Reine, de la fameuse galette du Gymnase. Il en mangea avec elle dans un coin de la loge, et rien ne lui avait jamais paru si exquis.

Cette soirée de bonheur se termina comme se terminent, à Paris, toutes les soirées de ce genre, c’est-à-dire par une pluie battante. On rentra en fiacre au faubourg Saint-Honoré. Et Reine fut fière d’apprendre aux gens du premier, au portier et à la fruitière, qu’elle revenait en voiture.

La révolution s’était largement opérée dans le moral d’Ervasy. Malgré la pluie, il gagna à pied son hôtel. La joie est pleine de fantaisies.

Rentré dans son appartement, Ervasy se mit à jouer de la flûte. Depuis quatorze ans il n’en avait joué.

Mon pauvre mari est devenu fou ! s’écria madame Ervasy, en s’assurant que c’était bien son mari qui exécutait un vieux solo sur la flûte.