Page:Gozlan - Les vendanges, 1853.djvu/25

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tard à leur mère se trouva affaibli. On eût dit qu’elle avait perdu pour lui un de ses attraits ; qu’elle était moins reine de son cœur depuis qu’un des diamants de son diadème maternel était tombé. La naissance d’une enfant avait rapproché lord Brady de sa femme, la mort de cette enfant sembla l’en écarter. Et comme le découragement, ainsi que la joie, fait voir la vie tout entière sous un jour particulier de prévention, sa femme ne fut pas à ses yeux le seul objet dont le charme se ternît. Son ciel fut sombre ; sa forêt lui parut plus épaisse, ses lacs plus froids, son château noircit dans son imagination. L’ennui oxyda son âme.

Aussi, à la première parole du médecin qui attribua à l’humidité du séjour au milieu des bois la cause possible de l’invasion du mal dont Nelly avait été victime, lord Brady ordonna au château que tout fût prêt dès le lendemain pour un voyage sur le continent. Il se persuada que l’air tempéré de la France n’aurait jamais tué sa fille. On partit pour la France. Lord Brady s’établit dans une campagne près de Paris avec ses deux filles et sa docile compagne.

Katty allait avoir bientôt six ans et Glorvina huit ans. Huit ans ! C’est à huit ans que Nelly était morte !

Glorvina était le portrait vivant de Nelly, comme Katty était celui de Glorvina. Chaque jour, qui rapprochait Glorvina de sa huitième année, rendait la similitude plus évidente. Son père confirmait l’analogie en restituant à lady Brady l’amitié dont il l’avait si capricieusement privée, capricieusement en apparence, depuis la mort de Nelly. Son sourire, sa démarche, sa voix, ses gestes, Nelly revivait dans Glorvina. Nous l’avons déjà exprimé, le bonheur est un grand coloriste ; il a des teintes séduisantes à ré-