Page:Gozlan - Les vendanges, 1853.djvu/316

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que vous porte mon frère, s’il est vrai qu’il existe une supériorité d’âge en sa faveur entre lui et moi ?

— Votre affection m’est connue, Ulrich, je n’ai à vous parler que de votre avenir. Vous avez vingt-deux ans.

— J’aurais désiré, mon père, qu’ils eussent été mieux employés pour votre gloire.

— La gloire de notre famille est entre de dignes mains.

Eberstein regarda son fils aîné, qui détourna un instant son attention des enluminures chevaleresques dont il se délectait pour s’incliner en signe de remerciement à l’allusion.

— Votre renommée ne saurait donc dépendre, Ulrich, ni d’un nom de famille dont vous ne pouvez, par votre naissance, perpétuer l’éclat, ni de la carrière des armes où j’ai des raisons pour vous défendre d’entrer. Le ministère des autels est assez honorable pour qu’on en soit jaloux ; le rang que vous y obtiendrez par les droits de votre nom est assez beau pour ne point vous faire regretter de n’être que le second héritier de ma race. Sanctifiée en vous, elle se prolongera par votre frère dans une voie d’illustration.

Cette fois le fils aîné du graf laissa passer l’éloge ; son attention était concentrée sur un endroit du livre qu’il tenait, où le héros consulte un magicien pour savoir si ses aventures seront heureuses. Le magicien, c’est le diable ; on le reconnaît aux griffes qu’il laisse entrevoir sous sa robe au lieu de pieds. Singulière faculté qu’a le diable de ne se déguiser qu’à la condition de se faire reconnaître.

— Admirable Pfintzing ! cria Johann au milieu de sa distraction, tu as écrit là un beau livre.

— Je m’étais fait depuis longtemps ce raisonnement,