Page:Gozlan - Les vendanges, 1853.djvu/35

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le compte de ma Katty. Dans quatre ans, je me dirai : elle en a douze ; dans sept ans, je me dirai : elle en a quinze. — Quinze ! milady ; — ma fille sera sauvée ; je me persuaderai qu’elle est sauvée. Pourquoi cela serait-il un mensonge ? Après tout, quand personne n’est sûr de vivre l’heure qui suit, personne non plus n’est pas sûr de ne pas vivre. Je m’habituerai à cette séparation qui ne sera, au fond, qu’une absence que je pourrai rompre, mais que je ne romprai jamais. Je remettrai toujours à l’année suivante pour aller la voir, et d’année en année, je n’irai pas. Et d’ailleurs, où aller la voir ? Je ne saurai plus où elle est. Après vingt ans d’éloignement chercher un enfant dans le monde, où il en naît, où il en meurt trois cent mille par jour !… Voilà la vie que je veux me créer. Dans mon doute, dans mes rêves, dans ma pensée, Katty sera pour moi toujours un enfant, — toujours belle, puisqu’elle sera toujours enfant ! toujours à sept ans ! et toujours vivante, milady, toujours vivante !

Et ce que je m’impose, je vous l’impose, milady. Auriez-vous le courage que je n’ai pas ? D’ailleurs, ce n’est pas du courage, que d’attendre, par une débilité d’âme, par une soumission à l’habitude, un accident que vos larmes, votre désespoir, vos prières, si elles devaient être impuissantes, n’écarteraient pas plus que votre énergie, supposé que vous en eussiez. Quoi ! se roidir contre la montagne qui tombe, c’est là du courage ? C’est du suicide, mais du courage, non ! Mais songez, — milady, — que l’année que je ne veux pas vous laisser passer auprès de notre fille, serait tout à la fois, par une contradiction où votre raison courrait le risque de se perdre, une année