Aller au contenu

Page:Gozlan - Les vendanges, 1853.djvu/356

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Voilà, monseigneur.

— Le moine faisait glisser d’une main dans le creux de l’autre les deux thalers qu’il semblait payer au légat.

— Un déicide ?

— À peu près, monseigneur.

— Quelle affreuse action ont-ils donc commise ?

— Ah ! ah !… monseigneur, dit le moine en ricanant. Ils ont donné naissance à celui qui ne croit pas aux indulgences, au moine qui tuera les indulgences. N’est-ce pas un crime horrible, monseigneur, celui-là ? Mais voilà mon argent ; relevez-moi de ce meurtre. — C’est drôle, n’est-ce pas, seigneur Eberstein ?

On entendait l’haleine bruyante et moqueuse du docteur sortir de ses narines comme l’haleine d’un bœuf essoufflé.

Il porta la main au mur et en décrocha un luth qu’il appuya en tremblant sur ses genoux.

— Aimez-vous la musique ? demanda-t-il à Ulrich.

— Avec passion, docteur.

— Tant mieux ; je vous en estime davantage. Le plus magnifique don de Dieu, c’est la musique, dont Satan est l’ennemi. La musique est une demi-discipline ; elle rend plus indulgent, plus doux. Rien d’aussi beau après la théologie : les notes font le texte vivant.

Sans la musique, mon jeune ami, la mélancolie m’aurait tué. J’ai des jours affreux, où il fait nuit dans mon âme. Mon corps souffre, languit, désespère. Ma tête s’alourdit, mes tempes palpitent, mes yeux se gonflent de larmes, je tremble, j’ai peur. Tout m’enflamme, tout m’indigne. Haineux sans haine, si je parle je tonne, si j’écris