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Page:Gozlan - Les vendanges, 1853.djvu/358

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peut beaucoup ; forte si elle est constante, invincible si elle est bonne, triomphante si elle vient de Dieu. Mais poursuivez votre récit, mon ami, il m’intéresse ; ces paysans sont bien malheureux. N’y aurait-il que nous pour ramasser leurs plaintes et les porter au ciel ?

Sous les doigts distraits du moine, le luth résonnait toujours.

— Que faire, ô mon Dieu ! s’écria Ulrich, car j’ai connu d’autres douleurs. Il y en a de semées par toute l’Allemagne ; au fond de la terre j’ai rencontré des hommes qui se mouraient de désespoir comme au-dessus.

Le moine éleva la gamme sacrée de son instrument, et du front la main d’Ulrich descendit sur son cœur.

— Le cœur, Ulrich, noble foyer où la pensée s’épure quand elle y tombe. La tête est la mine : le charbon, la terre, la glaise, le fer, s’y mêlent ; le cœur, c’est la forge ardente : le charbon y devient diamant, le fer épée.

— Oui, docteur, au fond des mines j’ai cru retrouver ces malheureux avec lesquels j’avais déjà fait une si triste connaissance à mon retour ; j’ai assisté à l’affranchissement d’un mineur. Chose étrange, ainsi que dans la forêt, les hommes de la mine ont baisé entre eux un soulier sur lequel j’ai aussi posé les lèvres.

— Vous ! Ulrich, vous ! — Le moine recula de deux pas — Mais savez-vous, enfant, que ce baiser vous a fait homme pour ces malheureux ? savez-vous que ce baiser vous a rendu leur frère ? savez-vous, Ulrich, comte d’Eberstein, que, si un de ces paysans, un de ces mineurs tombait sur la grand’route, vous seriez obligé de le porter sur vos épaules jusqu’au village ; que, s’il avait faim, vous