Page:Gozlan - Les vendanges, 1853.djvu/90

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chomme, Fleuriot, sa femme et Fournisseaux, fut brisé comme par un coup de hache. On déclouait l’enseigne ! Fournisseaux eut un irrésistible mouvement d’indignation ; il se jeta comme un fou sur le fusil de M. Richomme. On eût tiré à bout portant sur son maître, qu’il ne se fût pas senti emporté avec tant de violence, Richomme le retint ; mais il tremblait en le retenant. Sa poitrine se soulevait à chaque coup de marteau de l’ouvrier ; non moins agitée, madame Richomme laissa tomber sa tête sur l’épaule de sa fille. Fleuriot était impassible. Les ambitieux n’ont pas de cœur. Dans le pauvre Fournisseaux, l’indignation comprimée se changea en larmes. Il pleura comme un enfant. Cet homme de rien, qui n’avait ni père, ni mère, ni parents, ni amis, éprouva ; tous les sentiments humains à la fois, et tous les sentiments de douleur, quand il vit descendre, couverte de toiles d’araignées, noircie, indéchiffrable, à demi brisée, la vieille, la vénérable enseigne du Balai d’or. À peine toucha-t-elle la terre, qu’il s’y précipita, la chargea sur ses épaules émues et traversa le magasin en criant : « Elle est à moi ! » Fournisseaux avait sauvé le drapeau, honneur de la maison. Il monta l’enseigne à sa chambre.

— C’est fini ! dit stoïquement Richomme : partons !


V.

Après avoir pressé la main à tous ses confrères les marchands du voisinage, après avoir distribué et reçu des adieux sur le seuil de chaque boutique, après avoir embrassé sa fille Lucette, son gendre Fleuriot, et frappé ami-