Page:Gréard - L’Éducation des femmes par les femmes, Hachette, 1889.djvu/315

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Moultou et son père l’avaient nourrie des doctrines du philosophe de Genève. L’admiration qu’on professait ailleurs pour Rousseau s’accroissait pour ses compatriotes de tout ce qu’y pouvait ajouter le sentiment de l’honneur national. Les descriptions naturelles, les observations morales empruntées les unes aux paysages, les autres aux habitudes domestiques des pays de Vaud et de Lausanne leur en rendaient le prestige plus doux, l’exemple plus convaincant. Mlle Curchod possédait à fond l’Émile ; elle avait l’imagination émue, le cœur plein des idées de Jean-Jacques, — elle est une des premières qui lui aient donné ce nom familier, — quand, à vingt-trois ans, après la mort de son père et de sa mère, elle était venue à Paris chercher les ressources qui lui manquaient en Suisse. Mariée à M. Necker, c’est avec une véritable passion qu’elle embrassa les devoirs de la vie conjugale. « Aujourd’hui, disait Thomas, il y a des mères qui osent être mères. » Mme Necker se faisait honneur de l’être jusqu’à risquer de compromettre sa santé. Forcée de renoncer à allaiter sa fille, elle s’était consacrée à son éducation. En arrivant à Paris, elle avait dû accepter chez la duchesse d’Anville, puis chez Mme de Vermenou, l’emploi d’institutrice ; elle en savait les obligations ; sa fille lui en fit connaître la douceur. « Pendant treize années, pendant les treize plus belles années de sa vie, au milieu de beaucoup d’autres soins indispensables, » elle ne l’avait pas perdue de vue un seul jour ; elle la menait seule à la campagne, étudiait avec elle, lisait avec elle, priait avec elle. L’enfant abusait presque de cette tendresse : devenue malade, elle exagérait les accès de toux auxquels elle était sujette