Page:Gréard - L’Éducation des femmes par les femmes, Hachette, 1889.djvu/336

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les règles générales de conduite ne lui paraissaient pas suffisantes. Elle ne considère point que ce soit assez « de poser les grandes masses d’ordre et de raison » ; il faut arriver au fini, à la nuance : il n’est rien d’insignifiant dans la vie : « dès que la plus petite chose, ne fût-ce qu’une paille, se dégrade au toit d’une maison, » hâtons-nous d’y mettre la main pour prévenir une ruine qui peut devenir irréparable. Que d’ailleurs le spectacle du monde entre pour une part dans cette éducation, Mme Necker n’y fait point difficulté. Mais rien ne vaut, à ses yeux, l’étude de soi-même. Elle avait proposé de fonder un nouveau genre de Spectateur, le Spectateur intérieur. « Dans ce journal, disait-elle, on s’examinerait sans cesse, on comparerait son caractère avec ses principes, sa sensibilité avec son amour-propre. On tâcherait ainsi de corriger ses défauts par ses qualités ; on fixerait les résultats de son expérience. Dût-on n’arriver qu’à se vaincre pendant un mois et sur un seul objet, on prendrait l’habitude et le goût de se vaincre toujours et sur tous les autres. » Mme Necker avait suivi sur elle-même ces transformations, et si, en voyant dans la glace son teint flétri, elle ne pouvait s’empêcher de regretter la marche insensible du temps, « lorsqu’elle regardait dans son âme et qu’elle y constatait les progrès de sa raison devenue plus ferme, elle ne pensait plus qu’à se réjouir. » Elle se plaisait aux lectures « agressives, » à celles qui obligent à se replier ; elle aimait à goûter le prix de ses réflexions : « On trouve, disait-elle, un tribunal entier dans le cœur de l’homme, un juge, deux avocats et un supplice, mais, de plus, une récompense qu’on ne donne pas dans les tribunaux » ; et c’est forte de cette expérience