Page:Gréard - L’Éducation des femmes par les femmes, Hachette, 1889.djvu/370

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peine avait-elle fait une liaison nouvelle ou était-elle entrée dans une maison inconnue, qu’elle en explorait les ressources. Elle avait toujours plusieurs lectures en train. Elle interrogeait ceux qui ne lui fournissaient rien et les feuilletait comme un livre. Levée dès cinq heures, lorsque tout dormait encore dans la maison, elle se glissait doucement, en jaquette, sans se chausser, jusqu’à la petite table placée dans un coin de la chambre de sa mère, et elle commençait ses journées. Jamais il n’était pour elle ni trop tôt ni trop tard : « elle enrage du peu de durée des heures ; sa cervelle bout comme de la cire sur feu. » Sa mère la laissait faire ; elle ne voyait pas d’inconvénient à ce que « cette jeune tête qui avait besoin de travailler s’exerçât sur toute sorte de sujets, » sauf avec Rousseau, dont elle redoutait l’influence. Le père, qui d’abord se piquait de seconder les goûts sérieux de sa fille, lui avait fait cadeau, à neuf ans, des Pensées sur l’éducation de Locke et du Traité sur l’éducation des filles de Fénelon, « donnant à l’élève des livres faits pour le maître » ; plus tard, renonçant « à ces choix que sa fille trouvait vraiment trop plaisants, » il se bornait à lui apporter du cabinet de lecture voisin les ouvrages qu’elle lui demandait, d’après un renvoi, une note, une citation, une critique qui avait appelé son attention. C’est elle-même qui avait senti de bonne heure qu’on n’apprend rien quand on ne fait que lire, « qu’il faut extraire et tourner en sa propre substance » les choses qu’on veut conserver. Elle s’était donc mise à faire des extraits et des résumés ; « couchant le matin sur un cahier ce qui la veille avait piqué son intérêt, barbouillant du papier à force quand la tête lui faisait mal, écrivant tout ce qui lui venait en