Page:Gréard - L’Éducation des femmes par les femmes, Hachette, 1889.djvu/392

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qu’il leur faisait subir le spectacle journalier de scènes dégoûtantes. Nous étions réveillés toutes les nuits par les cris des malheureuses qui se déchiraient entre elles. La chambre où habitait Mme Roland était devenue l’asile de la paix au sein de cet enfer. Si elle descendait dans la cour, sa présence y rappelait le bon ordre, et les femmes sur lesquelles aucune puissance connue n’avait plus de prise étaient retenues par la crainte de lui déplaire. Elle distribuait des secours pécuniaires aux plus nécessiteuses et à toutes des conseils, des consolations et des espérances. Elle marchait environnée de ces femmes qui se pressaient autour d’elle comme autour d’une divinité tutélaire… » — « Tout était d’accord et rien n’était joué dans cette femme, a dit de son côté Lemontey ; Mme Roland ne fut pas seulement le caractère le plus fort, mais le plus vrai de la Révolution. »

D’où lui venait cette sérénité soutenue avec tant de constance pendant cinq mois d’une captivité dont le terme assuré était la mort ? En même temps qu’elle s’entourait des souvenirs de sa jeunesse, Mme Roland réveillait dans son cœur les leçons des maîtres qu’elle avait pratiqués toute sa vie. Le nom de Rousseau était honoré dans les cachots de la Force. Adam Lux, envoyé de Mayence pour demander la réunion de son pays à la République Française et jeté en prison pour avoir pris la défense de Charlotte Corday, avait été fort surpris de ne point voir la France entière à genoux devant les autels élevés par Jean-Jacques à la philosophie ; il s’entretenait souvent avec Hérault de Séchelles de l’Émile, dont Hérault de Séchelles avait apporté un manuscrit tracé en entier de la main de l’auteur.