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ROMAN D’UN PÈRE.

ses houppes, ses franges, plus semblable à une bonbonnière qu’à autre chose, était encore auprès de l’oreiller de ma femme. Que de nuits blanches nous avions passées ensemble ou tour à tour, près de la pauvre petite qui ne pouvait pas venir à bout de faire ses dents ! Le fauteuil installé à demeure près du lit était tout usé par les longues stations de la mère qui avait endormi là son enfant sur ses genoux.

Et maintenant que Suzanne était sauvée, maintenant que son petit râtelier complet s’étalait triomphant dans ses rires joyeux, voilà que ma femme, épuisée de lassitude et d’angoisses, n’avait plus trouvé de force pour continuer son œuvre… Elle avait disputé sa fille à la mort pendant neuf semaines, et la mort, furieuse de s’être laissé voler l’enfant, prenait la mère !

Je n’aurais pas dû permettre ce sacrifice, cette abnégation entière, je le sais… Mais nous avions déjà perdu deux enfants ; notre premier-né avait été pour ainsi dire tué par les remèdes empiriques d’une bonne anglaise, et le second, un garçon aussi, avait été empoisonné par le lait de sa nourrice. Le jour où ma femme s’était sentie mère pour la troisième fois, elle m’avait fait promettre de lui laisser élever cet enfant-là.