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SUZANNE NORMIS.

part près de la frontière d’Espagne, afin de nous enfuir à la moindre alerte ?

Elle secoua la tête.

— C’est une autre Italie, dit-elle, pas de verdure fraîche, ni de petits ruisseaux d’eau vive… on n’y parle pas français avec le cher accent traînant de nos provinces…

Nous ne pouvions pourtant pas nous en aller de ville en ville, au risque d’être reconnus par quelqu’une de mes nombreuses relations. Ce n’était pas pour Suzanne que je craignais ; elle avait tant changé que des indifférents l’auraient vue passer sans songer à madame de Lincy ; moi, j’étais parfaitement reconnaissable ! J’hésitai longtemps ; enfin je me rappelai qu’un jour Maurice Vernex m’avait parlé d’un village en pays perdu, sur la côte normande, où il avait passé, disait-il, les quinze journées les plus délicieuses de sa vie. Je me procurai une carte, des guides… peine perdue, le nom de cet endroit béni ne s’y trouvait pas.

Nulle recommandation ne valait celle-là, pour nous. Je me fis envoyer plusieurs cartes du dépôt de la guerre, et je me mis à suivre avec une épingle les sinuosités de la côte en déchiffrant à grand’peine les noms pressés les uns sur les