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ROMAN D’UN PÈRE.

pour les consoler ni les douceurs de la fortune, ni l’affection entière, aveugle d’un père tel que toi… Je me suis rappelé d’humbles ouvrières que leur mari battait, qui n’avaient pas d’enfants, à qui le pain manquait souvent, et qui pourtant portaient haut l’honneur du nom conjugal, et plus haut encore l’honneur du nom que leur avait laissé leur père ; à côté de ces existences de martyres, j’ai vu que la mienne était un paradis, et j’ai eu honte de ma première pensée. Sois donc sans inquiétude, père, ta fille ne te fera jamais rougir : ces beaux cheveux blancs ne connaîtront point la honte.

Elle me couvrit de caresses, et moi, faible, ému, les yeux pleins de larmes, larmes d’orgueil paternel plus que de tristesse peut-être, je me laissai faire comme un enfant, et je la bénis dans mon cœur.

Nous étions muets depuis un moment, et nous laissions errer nos yeux sur le paysage ; la patache, qui avait achevé de gravir la montée, s’éloignait rapidement dans la direction des terres, et bientôt un bouquet d’arbres la cacha à nos yeux. Le soleil descendait, et l’Océan commençait à prendre ces teintes mystérieuses où sous le gris, le bleu et le vert, on sent un peu de rose, le