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ROMAN D’UN PÈRE.

regards à faire damner saint Antoine, est-il possible que vous ayez des préjugés contre nous ?

— Convertissez-le, ma belle, dit ma belle-mère, je vous l’abandonne.

À dîner, le couvert de mademoiselle de Haags se trouva placé, non près du mien, — ma belle-mère, je l’ai dit, était très-forte, — mais près de celui de Suzanne, qui ne me quittait pas plus là qu’ailleurs. Je n’obtins ni regards ni conversation : la jolie voisine de ma fille était absorbée par les « grâces enfantines » de cette « adorable petite créature », et l’adorable petite créature, qui n’était pas fillette pour rien, se mit à jouer de sa nouvelle amie comme on joue du piano :

— « Donnez-moi votre éventail… Prêtez-moi votre montre… Rattachez ma serviette… J’ai laissé tomber ma fourchette… » — Tout l’arsenal des importunités enfantines y passait. Si j’avais été chez moi, j’aurais mis Suzanne en pénitence, mais chez moi elle n’eût pas rencontré mademoiselle de Haags…

Après le dîner on fit de la musique ; la jeune Belge avait une belle voix de contralto, vibrante et passionnée, mais un peu théâtrale.

— Je ne chante que de la musique sacrée, me dit-elle en s’excusant d’un sourire.