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III

QUEL DOIT ÊTRE LE CARACTÈRE
DE L’ESPRIT DANS UN HÉROS



Il faut de grandes parties pour composer un grand tout : et il faut de grandes qualités pour faire un héros. Une intelligence étendue et brillante semble devoir occuper le premier rang entre ces qualités. Tel est le sentiment de ceux qui passent pour avoir plus creusé dans la nature de l’héroïsme. Et de même qu’il n’est point selon eux de grand homme qui n’ait cette intelligence, ils ne la reconnaissent aussi dans qui que ce soit, qu’ils ne le qualifient un grand homme. De tous les êtres qui frappent nos sens en ce monde visible, ajoutent-ils, le plus parfait est l’homme ; et dans lui, ce qu’il y a de plus relevé, c’est une intelligence vaste et lumineuse, principe de ses opérations les mieux conduites et les plus surprenantes. Mais, de cette intelligence, de cette perfection comme fondamentale, naissent deux qualités, ainsi que deux branches qui sortent de la même tige. Un jugement solide et sûr, et un esprit tout de feu, sont ces qualités ; lesquelles attirent le nom de prodige à l’homme en qui elles se réunissent.

La philosophie ancienne prodiguait des éloges à d’autres facultés de l’âme, qu’elle multipliait, suivant sa manière de concevoir les choses. La politique ose prendre ici la liberté de transférer ces éloges, et au jugement et à l’esprit : elle considère le premier comme le tribunal de la prudence, où tout s’examine et se règle ; et le second, elle le regarde comme la sphère de ce feu subtil et vif