Page:Gracian - Le Héros, trad de Courbeville, 1725.djvu/44

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fessions publiques, dont l’exercice est ignoble et bas. Car il est vrai que l’on bat des mains aux gestes expressifs d’un excellent pantomime, aux tours surprenants d’un baladin habile et vigoureux : mais, ces personnages aussi vides de belles qualités que bouffis de vanité pour l’ordinaire, quelle réputation ont-ils ? Ce sont tout au plus des héros en grimaces et en cabrioles.

Quels sont les héros véritables, dont les noms se trouvent écrits les premiers, et avec plus de pompe sur la liste de la déesse à cent bouches ? Ce sont sans doute les grands hommes de guerre, auxquels l’héroïsme semble appartenir d’une manière plus propre, et comme primitive. Tout l’Univers en effet retentit de leurs louanges : chaque siècle rappelle successivement à la postérité leur triomphante mémoire ; l’histoire languit et tombe des mains au lecteur endormi, si le récit de leurs exploits ne la relève : leurs malheurs mêmes sont le fonds et l’âme de la poésie la plus sublime. Et d’où vient cela ? C’est que les hauts faits de ces illustres heureux ou malheureux dans la guerre sont comme de grands traits dont tous les esprits peuvent être également frappés. Je n’ai garde pourtant de vouloir que la guerre soit préférable à la paix ; à moins que ce ne fût une paix honteuse et préjudiciable. Je m’imagine seulement que les qualités guerrières ont plus d’éclat, plus de lustre et plus de réputation que les autres. Quoi qu’il en soit, dans toutes les professions nobles de la vie, pour oser se promettre une approbation générale, il faut consulter et suivre le sentiment unanime. La justice publiquement exercée sans partialité et sans délai immortalise un magistrat, comme les lauriers de Bellone éternisent un général d’armée. Un homme de lettres illustre son nom à jamais, lorsqu’il sait traiter des sujets intéressants,