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Page:Grad - L'Alsace, le pays et ses habitants - 1909.pdf/9

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augmente en nombre ou dont le bien-être s’accroît, car toute une rangée de maisons neuves s’élève en dehors, le long du quai de la Fecht. Des établissements industriels, filatures de coton et de papeteries, se groupent à distance sur le cours du canal, qui dérive du torrent, non pas en agglomération compacte, noircie par la fumée et ou l’air manque, mais échelonnés les uns à la suite des autres, en plein soleil, étalant à la lumière leur blanche façade, ou se cachant coquettement derrière des bouquets d’arbres, où le bourdonnement des machines monte au ciel comme un hymne du travail.

La situation de Turckheim ne vous paraît-elle pas tous à fait ravissante ? Un sentiment pieux me dispose à dire de mon lieu natal tout le bien possible. Convenez pourtant que je n’exagère rien en louant le gracieux paysage dont nous subissons le charme. Ne m’en voulez pas de me sentir ému par notre flânerie à travers les vieilles rues de l’endroit, comme sous les ombrages au bord du torrent. Ces lieux réveillent tant de souvenirs, après les absences prolongées au loin ! Que d’heures j’ai passées à rêver, en abandonnant ma ligne au fil de l’eau, en faisant l’école buissonnière sous les grands saules, où le garde champêtre m’a dressé procès-verbal pour quelques osiers dérobés ! Plus tard, quand j’ai voulu regagner le temps perdu pour l’étude, derrière cette fenêtre, là-haut, au second étage de la maison paternelle, bien des fois le veilleur communal, trouvant ma lampe de travail allumée trop avant dans la nuit, est venu me héler depuis la rue pour m’obliger au repos. Ne nous éloignons pas sans jeter un coup d’œil au fond de la grande cour où, pendant mes vacances joyeuses, nous avons fait maint coup espiègle dans l’escalier tournant de la tourelle, à la maison des grands-parents. Maintenant, quand je reviens de loin, plus de grand-père ni de grand’mère. Ils reposent dehors, au cimetière. Frères et sœurs ont quitté aussi le toit de la famille. Les camarades d’enfance manquent la plupart. Quels changements dans le court intervalle de vingt années !

Si le visage des gens que nous rencontrons n’est plus le même, la physionomie du lieu a conservé son ancien caractère. Étreintes par le vieux mur d’enceinte, les maisons et les rues se trouvent un peu à l’étroit. Aussi apercevons-nous peu de cours suffisamment vastes, et encore moins de jardins. Les maisons présentent presque toutes des pignons élevés, en pointe, avec d’énormes toits. Presque toutes ont à l’intérieur, ou sous un hangar, un pressoir en bois massif, un alambic pour distiller l’eau-de-vie, des tas d’échalas, matériel obligé d’une population viticole. Reliant entre elles les trois portes de la ville, les rues principales sont peu larges, pavées de cailloux, en ligne droite ou parallèles au mur d’enceinte. Celle de devant représente le quartier commerçant et renferme les boutiques. Elle part de la place