Telle fut sans doute aussi l’opinion des chefs qui s’étaient si longtemps obstinés dans la résistance. Las de vivre à l’aventure dans les montagnes et dans le désert, en lutte avec les bêtes féroces et les Chaldéens plus féroces encore, ils résolurent à leur tour de faire, leur soumission. Jochanan, fils de Karéach, et ses compagnons allèrent rendre les armes à Ghédalia, labourèrent et ensemencèrent, et reconstruisirent les ruines qui leur avaient jusqu’alors servi de retraite. Le dernier qui se présenta ainsi fut Ismaël, fils de Néthania.
Celui-ci était un homme astucieux, dépourvu de conscience et avec lequel l’esprit du mal s’introduisit à Mitspa. S’il fit également sa paix avec les Chaldéens et Ghédalia, ce ne fut pas sans conserver au fond du cœur des dispositions haineuses, que son hôte Baalis eut l’art de mettre à profit. Ce prince voyait avec déplaisir la formation d’un État judéen sous la protection chaldéenne : pour y mettre fin, il poussa Ismaël à un crime. Les desseins de ce dernier ne laissèrent pas de transpirer, et les autres chefs ralliés, notamment Jochanan, en reçurent avis ; ils en instruisirent Ghédalia, se mirent à ses ordres, lui demandèrent même l’autorisation de faire disparaître le conspirateur. Mais le fils d’Achikam se montra incrédule. Force ou faiblesse, sa confiance lui fut fatale, aussi bien qu’à l’État à peine organisé. Il pouvait s’être écoulé quatre ans depuis la destruction de Jérusalem et la soumission des Judéens dispersés, lorsqu’un matin, à l’occasion d’une assemblée de fête, on vit arriver Ismaël avec dix compagnons. Il se rendit auprès de Ghédalia, lui fit bon visage et fut invité à un festin. Pendant que les convives, peut-être échauffés déjà par le vin, mangeaient et causaient sans défiance, Ismaël et ses acolytes, tirant leurs épées, massacrèrent le gouverneur avec tous les hommes en état de porter les armes et tous les Chaldéens présents, puis emmenèrent de force, vers le Jourdain, pour les conduire à Ammonitis, le reste des habitants de Mitspa, vieillards, enfants et femmes, qu’ils avaient commencé par faire garder à vue, pour empêcher la divulgation du forfait. Au nombre de ces prisonniers se trouvaient les malheureuses filles du roi Sédécias, le prophète Jérémie, alors vieillard, et son disciple Baruch.
Mais si secret qu’eût été le crime, il ne pouvait longtemps se celer.