Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 2.djvu/282

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s’est posé publiquement en Messie et comment sa prétention fut accueillie, — cette question est précisément le point capital de son histoire. Or, les sources en traitent d’une manière si louche et si confuse, qu’il est difficile de distinguer le fond historique des amplifications de la légende. Jésus a dû, certainement, rencontrer à Jérusalem des préventions peu favorables. Aux yeux de la partie éclairée du peuple, un Galiléen ignare pouvait, moins que personne, être le libérateur attendu. Cela choquait d’ailleurs toutes les idées reçues, de voir le Messie venir de la Galilée, alors que, depuis des siècles, on comptait le voir surgir à Bethléem, comme issu de la race de David. De cette époque même pourrait bien dater le dicton populaire : Que peut-il venir de bon de Nazareth ? Quant aux dévots, ils étaient scandalisés des allures de Jésus frayant avec des pécheurs, avec des publicains et des femmes de mauvaise vie, mangeant et buvant avec eux. Même les disciples de Jean-Baptiste, c’est-à-dire les Esséniens, paraissent s’être formalisés de ce manquement à la règle.

Les Schammaïtes étaient sans doute mécontents de le voir opérer des cures le jour du sabbat. Ils n’imaginaient pas un Messie profanant ce saint jour. Apparemment, Jésus s’était aussi prononcé plus d’une fois contre la méthode d’interprétation et les déductions des Pharisiens. Quant aux zélateurs, ils n’attendaient rien de grand d’un homme qui ne prêchait que la conciliation, n’inculquait pas à ses partisans la haine des Romains, et tout au contraire, dédaigneux des richesses, les engageait à payer docilement les impôts : Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. Toutes ces étrangetés, qui cadraient mal avec l’idée qu’on se faisait du Messie, devaient rendre les docteurs assez froids à son égard, et lui faire trouver à Jérusalem un accueil peu sympathique. Mais tous ces griefs ne fournissaient pas encore matière à une accusation contre lui. La libre expression des opinions individuelles était si bien entrée dans les habitudes, grâce aux fréquentes discussions entre Hillélites et Schammaïtes, qu’on ne songeait guère à poursuivre quelqu’un pour cause de dissidence doctrinale, pourvu qu’il ne transgressât pas les lois religieuses généralement reconnues, et qu’il ne s’élevât pas contre la notion de Dieu, telle que le judaïsme la professait.