Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 4.djvu/120

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d’un petit nombre d’esprits éclairés, qui entendaient expliquer la Bible à l’aide de la raison et de la science, et non pas d’après les données do l’Aggada. À ce point de vue, il est tout l’opposé de Raschi. Quoiqu’il déclarât hérétique toute interprétation contraire à la Massora, son commentaire est tel que le rationalisme et même l’incrédulité invoquent parfois son autorité. Et, de fait, il a pu être accusé, avec une apparence de raison, de mettre en doute, comme Hiwi Albalchi, Yitshaki et autres rationalistes, la haute antiquité de la Bible. Dans des phrases obscures et énigmatiques, il semble faire entendre que plusieurs versets de la Thora n’y ont été ajoutés que bien plus tard. Mais l’obscurité calculée de son style laisse planer le doute sur ses véritables intentions.

Pauvre dans une ville ruinée par la guerre, Ibn Ezra se décida à émigrer de Tolède. Dans sa passion de faire des épigrammes, il raillait lui-même son peu de chance : Je m’efforce, dit-il, d’acquérir quelque aisance, mais les astres me sont contraires. Si j’étais marchand de suaires, on cesserait de mourir ; si je vendais des cierges, le soleil ne se coucherait plus jusqu’à ma mort. Il quitta donc sa ville natale et se mit à voyager avec son fils Isaac. Il visita l’Afrique, l’Égypte, la Palestine, et entra en relations, à Tibériade, avec des rabbins qui prétendaient posséder des exemplaires très corrects de la Thora. N’ayant le courage de se fixer nulle part, il alla jusqu’en Babylonie et gagna même Bagdad, où résidait alors une sorte d’exilarque, auquel le khalife avait accordé une certaine suprématie sur les communautés juives de l’Orient. Dans ses longs voyages, Ibn Ezra recueillit de nombreuses observations et étendit ainsi son vaste savoir.

Après son retour d’Orient, qu’il quitta, ce semble, à la suite du chagrin que lui causa son fils en se faisant musulman et en s’établissant définitivement à Bagdad, Ibn Ezra se rendit à Rome (1140). Là, il trouva enfin le repos tant désiré. Son apparition en Italie fait époque dans l’histoire de la civilisation des Juifs de ce pays. Ceux-ci, quoique jouissant d’une certaine liberté, étaient restés stationnaires à un degré inférieur de culture intellectuelle. Ils ne comprenaient le Talmud que par routine, n’avaient aucune intelligence sérieuse de la Bible, et la poésie néo-hébraïque ne s’était manifestée chez eux que sous forme de méchante prose