Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 4.djvu/132

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par ses contemporains et jouissant d’une grande autorité dans toutes les questions de science et de droit. Un mot d’éloge de sa bouche était une haute récompense pour les écrivains. Il stimulait l’activité des savants et les engageait principalement à traduire en hébreu les ouvrages arabes des auteurs juifs. Ses cinq fils, tous instruits, représentaient les deux directions opposées qui devaient bientôt entrer ensemble en lutte. L’un d’eux, Aron (qui florissait de 1170 à 1210), quoique versé dans le Talmud, avait cependant une prédilection marquée pour un judaïsme rationnel, tandis que deux de ses frères, Jacob et Ascher, repoussaient l’intervention de la raison dans le domaine religieux. Jacob et Ascher menaient une vie ascétique, s’abstenant de vin et s’imposant des mortifications. Le premier fut même surnommé le nazir.

À Lunel, cependant, le courant scientifique prédominait. Il était représenté par deux hommes très connus dans la littérature juive, Juda, le père des Tibbonides, et Jonathan ben David Cohen, de Lunel. Celui-ci, qui avait de l’autorité dans les questions talmudiques, n’en défendait pas moins les droits de la science.

Juda ben Saul ibn Tibbon (né vers 1120 et mort vers 1190), originaire de Grenade, avait émigré, devant les persécutions des Almohades, dans le midi de la France. À Lunel, il exerçait la médecine et acquit dans cette profession une grande réputation ; il fut appelé à donner ses soins à des princes, des chevaliers et même des évêques. Versé dans la langue arabe, écrivant l’hébreu avec facilité, il pesait chaque mot avec minutie, pédant à force de vouloir être exact ; il était vraiment né traducteur. Sur les conseils de Meschoullam et d’autres amis, il traduisit successivement de l’arabe en hébreu les Devoirs des cœurs de Bahya, l’Éthique et le Collier de Perles d’Ibn Gabirol, le Khozari de Juda Hallévi, l’important traité grammatical d’Ibn Djanah et le traité de philosophie religieuse de Saadia. Ses traductions, trop fidèles, sont parfois obscures ; elles sont calquées servilement sur l’original arabe, et, par conséquent, écrites souvent dans une langue incompréhensible ou incorrecte.

Son fils Samuel (né vers 1160 et mort vers 1230) formait avec lui, par le caractère, un contraste complet. Mieux doué que son