Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 4.djvu/196

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elle aurait échoué misérablement, malgré les efforts d’Ezra et d’Azriel, si elle n’avait trouvé un défenseur éminent dans Nahmani. Celui-ci aussi était convaincu de l’ancienneté du livre Bakir et y voyait la justification des idées mystiques de l’école de Girone. On peut s’étonner au premier abord qu’un esprit clair et pénétrant comme Nahmani, qui, dans le domaine talmudique, savait élucider les questions les plus obscures, acceptât et défendît les absurdités de la Cabale. C’est qu’en face de la philosophie abstraite et froide de Maïmonide, son âme, avide de croire et un peu mystique, se sentait attirée vers la Cabale, parce que, malgré ses puérilités, elle ouvrait, du moins, la voie aux rêves.

Grâce à l’appui de Nahmani, la Cabale se propagea assez rapidement. Car ce rabbin pieux et instruit fit rejaillir sur elle une partie de l’estime et du respect qu’il inspirait â ses contemporains. Comme le dit un poète de l’époque, En-Vidas Dafiera, le fils de Nahman fut une forteresse solide pour la Cabale, parce qu’il encouragea les timides à pénétrer avec lui dans les arcanes du mysticisme.

Ainsi, quarante ans après la mort de Maïmonide, dont les écrits étaient destinés à resserrer les liens entre les Juifs de tous les pays, le judaïsme était divisé en trois camps, les partisans des études spéculatives, les talmudistes obscurantistes et les cabalistes. Les premiers, qui se réclamaient de Maïmonide, essayaient d’expliquer les lois juives d’une façon rationnelle ; les plus modérés s’en tenaient aux doctrines de leur maître, d’autres, plus hardis, allèrent jusqu’aux conséquences extrêmes des idées de Maïmonide et rompirent en partie avec le Talmud. Les talmudistes repoussaient toute spéculation philosophique et toute recherche scientifique, ils acceptaient les aggadot dans leur sens littéral, mais repoussaient les doctrines cabalistiques. Quant aux cabalistes, ils étaient les ennemis des philosophes et des talmudistes. À l’origine, par suite de leur petit nombre et des ténèbres qui enveloppaient encore leurs doctrines, ils s’étaient associés aux obscurantistes pour combattre les maïmonistes. Mais avant la fin du siècle, ils se déchirèrent entre eux et s’attaquèrent les uns les autres avec un acharnement qui dépassait en violence celui qu’ils avaient jamais déployé contre leur ennemi commun, les philosophes.