Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 4.djvu/259

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d’autres termes, de lui verser une partie des impôts payés par les Juifs. On raconte qu’après avoir consulté ses jurisconsultes sur cette question et appris d’eux que la réclamation de l’empereur était fondée, il aurait décidé de prendre aux Juifs ce qu’ils possédaient et de les envoyer ensuite, pauvres et dépouillés de tout, auprès d’Albert. Pour justifier aux yeux du public sa décision, aussi contraire à l’humanité qu’aux intérêts de l’État, Philippe le Bel prétendit que les Juifs s’étaient attiré ce châtiment par leurs crimes. Mais la rapacité qu’il manifesta dans cette circonstance prouva avec la plus grande évidence qu’il ne les avait chassés (lue pour pouvoir s’emparer de leurs richesses. On ne laissa à ces malheureux, aux pauvres comme aux plus riches, que les vêtements qui les couvraient et de quoi se nourrir pendant un seul jour. Ce fut par charretées qu’on transporta chez le roi l’or, l’argent et les pierres précieuses des Juifs ; le reste fut vendu à des prix dérisoires.

À la date fixée (sept. 1306), près de cent mille Juifs durent quitter la France. Et cependant leurs aïeux avaient déjà habité une partie de ce pays à l’époque de la république romaine, longtemps avant l’arrivée des Francs et le triomphe du christianisme. Un certain nombre d’entre eux, plutôt que de se séparer de leurs biens et des tombes de leur famille, acceptèrent le baptême. À Troyes, Paris, Sens, Chinon et Orléans, où avaient brillé Raschi et les tossafistes, à Béziers, Lunel et Montpellier, qui avaient été pour le judaïsme des centres de haute culture, on vendit aux enchères ou l’on offrit en cadeau ces synagogues et ces écoles où avaient enseigné tant de savants remarquables, où l’on avait discuté et lutté pour ou contre les études scientifiques. Une des synagogues de Paris fut donnée par Philippe le Bel à son cocher. En Angleterre ou en Allemagne, ces écoles et ces synagogues auraient été tout simplement détruites. L’expulsion et le pillage des Juifs rapportèrent certainement des sommes considérables à Philippe le Bel, car dans le seul bailliage d’Orléans on vendit pour 337.000 fr. de propriétés juives.

Des documents du temps montrent à quelle atroce misère étaient réduits les pauvres exilés. Un de ces malheureux, Estori Parhi, parent de Jacob Tibbon, et dont les parents étaient venus