pas froisser la très vive susceptibilité de l’Église et de ses serviteurs. Le poète satirique Salomon ben Reuben Bonfed ne prit pourtant pas tant de précautions ; il répondit sans ménagement à Astruc-Francisco, en prose rimée. Pour s’excuser de prendre part à cette discussion, il dit qu’il y est intéressé comme Juif et qu’il n’a pas le droit de se taire devant ce parti pris évident de rendre obscures les choses les plus claires. Après avoir fait ressortir les côtés un peu singuliers de certains dogmes chrétiens, Bonfed termine par cette remarque : Vous torturez le texte de la Bible pour lui faire proclamer le dogme de la Trinité. Si vous aviez à prouver l’existence d’une quadrinité, vous arriveriez aussi à la trouver dans les Saintes Écritures.
Mais aucun des renégats juifs ne fit tant de mal à ses anciens coreligionnaires que Salomon Lévi, de Burgos, connu, comme chrétien, sous le nom de Paul de Santa-Maria (né vers 1351-52 et décédé en 1435). Avant son baptême, il exerçait les fonctions de rabbin ; il connaissait donc la Bible, le Talmud et la littérature rabbinique, et il était très considéré pour sa piété. Esprit prudent et avisé, il savait quand il était de son intérêt de parler ou de se taire. Il était surtout vaniteux et ambitieux, et se sentait à l’étroit entre les quatre murs de son école ; il fallait à son orgueil un théâtre plus vaste. Désireux d’être reçu à la cour et d’y jouer un rôle, il déployait une activité bruyante et menait une vie de grand seigneur, sortant dans des carrosses luxueux, accompagné d’une nombreuse escorte. Surviennent les massacres de 1391. Salomon Lévi prévoit qu’après ces événements il lui sera impossible, s’il reste juif, d’être jamais nommé à quelque emploi élevé. R se décide donc, à l’âge de quarante ans, à recevoir le baptême et à le faire recevoir avec lui à son frère et à ses quatre fils. Pour tirer plus de profit de son abjuration, il fit accroire que c’était par conviction qu’il s’était converti au christianisme.
À cette époque, en dehors de l’état militaire, une seule carrière pouvait conduire promptement à une situation élevée ; c’était l’état ecclésiastique. Salomon ou plutôt Paul de Santa-Maria se rendit donc à l’Université de Paris pour y étudier la théologie chrétienne. Ses connaissances hébraïques lui furent très utiles en cette occurrence. Peu de temps après, le rabbin juif fut ordonné piètre catholique.