Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 5.djvu/145

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que la présence de ces Marranes actifs et industrieux serait d’une grande utilité pour la cité, était tout disposé à accueillir la demande de Pallache, mais il en fut empêché par les prédicateurs protestants, que la lutte soutenue contre l’Espagne pour l’indépendance et la liberté de conscience avait rendus également fanatiques et intolérants.

Malgré ce premier échec, les Marranes de l’Espagne et du Portugal continuèrent à attendre leur salut des Pays-Bas, dont ils partageaient la haine pour l’Espagne et son roi Philippe Il. Ils se rappelaient avec quelle généreuse ardeur Guillaume d’Orange avait toujours prêché la tolérance, et, quoique ses conseils n’eussent pas encore été suivis, ils ne désespéraient pas de les voir mis à exécution par les Pays-Bas. Une femme marrane de grand cœur, Mayor Rodriguez, semble avoir cherché à faciliter leur établissement en Hollande. Ayant appris que des Marranes, sous la direction d’un certain Jacob Tirado, allaient s’embarquer au Portugal pour émigrer, elle leur confia sa fille, Marie Nunès, et son fils. Comme Marie était d’une remarquable beauté, sa mère espérait qu’elle pourrait se rendre utile aux émigrants, qui étaient au nombre de dix, hommes, femmes et enfants. Ses prévisions se réalisèrent. Capturés par un navire anglais qui faisait la chasse au pavillon hispano-portugais, les fugitifs furent emmenés en Angleterre. Le capitaine du navire fut séduit par la beauté de Marie Nunès, qu’il prenait pour une jeune fille de haute noblesse, et lui offrit sa main. Quoique le capitaine fût duc, Marie refusa son offre. Bientôt il ne fut question à Londres que de la belle Portugaise, au point que la reine Elizabeth exprima le désir de la connaître. Appelée à la cour, Marie fut invitée par la reine à parcourir avec elle les rues de la capitale dans un carrosse découvert. Ce fut sans doute à son influence que les Marranes durent de pouvoir repartir d’Angleterre pour la hollande. Surpris par une tempête, les fugitifs se réfugièrent dans le port d’Emden. On ne trouvait alors dans cette ville, comme, en général, dans tout l’est du pays de Frise, qu’un petit nombre de Juifs allemands.

Ayant remarqué des lettres hébraïques gravées sur la façade d’une maison, Jacob Tirado, le chef des Marranes, y entra. C’était