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JEAN-JACQUES ROUSSEAU

beaucoup d’écrits, serait peut-être celle qui conviendrait le mieux à cette note où je serai certainement au-dessous de mon admiration pour Jean-Jacques. Cette admiration, elle a grandi dans mon active et républicaine vie politique, en coudoyant les gens qui chantent :

C’est la faute à Voltaire,
C’est la faute à Rousseau,

et qu’il faut excuser, puisqu’ils n’ont lu ni l’un ni l’autre. Le propre de notre époque est de porter des jugements sur des choses qu’on ne connaît point…

Je me demande si on ne dira pas que je ne connais plus Rousseau quand on lira ceci ? Ce serait me mettre eu bonne et nombreuse compagnie, et c’est ce qui m’encourage à continuer ma lettre.

Il y a quelques années, un ministre de l’Instruction publique auquel je disais qu’il appliquait les idées de l’Emile se récriait bien fort ; ensuite, peut-être qu’il le lut et fut convaincu. Je me croirai encore en la compagnie de ce ministre, et je convaincrai peut-être quelqu’un… au moins de la nécessité d’ouvrir l’Emile.

Car il n’y a point de livre au monde qui soit plus digne de louanges que celui où on trace un plan d’éducation, même quand cest le « Traité des études » de Rollin, et quelle gloire quand ce plan d’éducation est réalisé un siècle après soi ! Lisez ou relisez l’Emile, voyez tout ce que nous faisons, la manière dont nous poussons l’enfant, dont nous conduisons son instruction, et vous vous convaincrez que notre maître est Rousseau. Assurément, nous ne lui prenons pas tout. L’homme n’est pas parfait. Il n’est pas complet non plus. On prend du Rousseau comme on prend du Fourier, on extirpe, on pressure, et on rejette… La fleur elle-même est jetée quand on en a extrait un peu de parfum.