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ARISTOPHANE
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larité qui a conduit Welcker à reconnaître l’image d’Aristophane dans un buste en marbre provenant des environs de Tusculum, et que nous reproduisons.

La comédie d’Aristophane a toutes les allures du pamphlet ; elle s’attaque à la fois aux hommes et aux choses, aux idées et aux institutions, avec une audace dont la presse seule, telle qu’elle est organisée dans les pays libres, peut donner une idée. Les fines études de mœurs, les délicates analyses qui font le charme de la comédie moderne y tiennent donc peu de place. Ce qu’on y trouve surtout, ce sont des allusions aux événements contemporains, de violentes critiques et parfois aussi de sages conseils. Dans le théâtre actuel, ce sont les revues qui se rapprochent le plus de cette espèce de satire dramatique. Mais les revues sont soumises à une censure sévère : aussi se bornent-elles, en général, à viser les modes nouvelles, à parodier les pièces récentes, à rappeler d’une manière plus ou moins comique les faits saillants de l’année ; les allusions politiques sont rares et toujours discrètement voilées ; les personnages en vue n’y sont point pris à partie, ou, quand on les désigne, c’est avec mille précautions. Il n’en est pas de même chez Aristophane : pour lui, la scène est une tribune du haut de laquelle il accuse et poursuit de ses sarcasmes démagogues et sophistes, traitres et sycophantes, mauvais poètes et débauchés, sans prendre souci de présenter les événements dans un ordre rigoureux, nouant des intrigues qui se dénouent comme elles peuvent, ralentissant l’action par des épisodes inutiles, s’interrompant parfois pour lancer, par la bouche du chœur, contre tel ou tel citoyen, qui n’a que faire dans la pièce, de véhémentes invectives ou d’amères plaisanteries. Il en résulte qu’Aristophane est pour nous d’une lecture peu facile : il faut, pour le comprendre, recourir aux nombreuses scholies que des grammairiens très postérieurs, parfois mal renseignés, ont ajoutées à ses comédies ; il faut aller demander aux écrivains du temps la clé de certaines allusions qui resteraient pour nous inintelligibles sans leur secours ; il faut surtout se faire l’esprit antique, se transporter en imagination parmi les Athéniens de la fin du Ve siècle qui composaient l’auditoire du poète, assister à leurs luttes intestines et à leurs guerres, s’animer au spectacle de leurs passions, partager leurs engouements et leurs haines. À cette condition seulement on comprend Aristophane et, bien qu’alors même plus d’un passage demeure obscur, il semble, à lire ces drames, fidèles images de la vie des contemporains de Périclès et de Cléon, de Nicias et d’Alcibiade, qu’on ait sous les yeux une sorte de gazette d’Athènes toute remplie des préoccupations du jour, des polémiques ardentes et des ressentiments emportés du moment. Il y a pourtant des différences entre les comédies d’Aristophane et toutes n’ont pas ce caractère d’actualité et d’à-propos. On a vu que les Oiseaux, les Femmes aux Thesmophories, les Grenouilles, l’Assemblée des femmes n’ont point la liberté agressive des Acharniens, des Chevaliers, des Nuées, des Guêpes, de la Paix, de Lysistrata. Quant au Plutus, c’est une pièce à part, qui ne rappelle en rien la Comédie Ancienne. Cette variété tait honneur à Aristophane ; elle prouve la souplesse de son talent. Mais si l’on veut avoir de son génie une idée vraie, si l’on est curieux de se rendre compte de ce que fut entre ses mains ce puissant instrument de la comédie satirique qui fit la gloire du théâtre athénien dans les dernières années du Ve siècle, c’est aux Chevaliers qu’il faut aller tout droit ; dans nulle autre pièce on ne trouvera cette hardiesse, cette bravoure, cette verve mordante et passionnée, cette éloquence qui sont les qualités maîtresses de la Comédie Ancienne et qu’Aristophane possédait au plus haut degré. Il serait beaucoup trop long d’exposer ici dans le détail les sentiments d’Aristophane sur tous les usages, sur toutes les institutions dont il se raille. Qu’il suffise de dire que partout, en littérature comme en politique, en


législation comme en morale, il se montre un partisan résolu du passé. S’il attaque les démagogues, c’est qu’il est, avec les chevaliers, pour l’ancien état de choses et blâme les excès de la démocratie nouvelle ; s’il bafoue Socrate, c’est que, l’assimilant aux sophistes, il réprouve la morale mise à la mode par leur enseignement et tient pour l’antique sagesse qui a fait jadis la grandeur d’Athènes ; s’il critique Euripide, c’est qu’en admirateur convaincu de l’ancienne tragédie, il repousse les nouveautés à l’aide desquelles Euripide a tenté de la rajeunir ; s’il jette le ridicule sur les rêveries des utopistes qui prêchent le communisme et le bonheur universel, c’est que, respectueux de la tradition, il ne veut point qu’on ébranle les antiques fondements sur lesquels repose la société. C’est ce qui a fait dire de lui qu’il fut en tout un conservateur. Gardons-nous de voir, pourtant, dans cette tendance la preuve d’une doctrine mûrement réfléchie. Aristophane fut un conservateur, c.-à-d. un opposant, parce qu’il était de l’essence de la Comédie Ancienne de faire de l’opposition à tout ; il obéit à la loi du genre et se fit satirique par métier. Il est probable qu’à ce jeu il finit par prendre les sentiments qu’une nécessité purement littéraire lui avait primitivement imposés ; il critiqua ses contemporains avec sincérité ; il flagella son temps de bonne foi. Mais il ne faut pas faire de lui un réformateur à l’humeur chagrine qui trouva dans le théâtre l’occasion cherchée de produire à la lumière ses idées et ses théories. Ce qu’il fut avant tout, c’est un poète comique. Voilà ce qu’on ne doit jamais oublier. Le style d’Aristophane est une merveille. Les anciens en faisaient grand cas : on n’avait rien vu jusque-là d’aussi souple ni d’aussi varié. Avec sa vivacité et sa grâce, sa noblesse et sa familiarité, sa science profonde de la langue et des divers dialectes parlés en Grèce, Aristophane passait pour un maître sans rival, auquel Platon seul, dans ses meilleurs ouvrages, pouvait être comparé. Un beau distique, attribué précisément à Platon, résume sous une forme charmante toutes les qualités du grand poète : « Les Grâces, cherchant un sanctuaire impérissable, trouvèrent l’âme d’Aristophane. » (V. COMÉDIE. PARABASE). — Il existe un grand nombre d’éditions d’Aristophane, mais une bonne édition complète des onze comédies conservées et des fragments est encore à faire. Signalons, parmi les éditions complètes, l’éd. Didot, en 1 vol., suivi d’un 2e vol. contenant les scholies ; l’éd. critique de Blaydes, Halle, in-8 ; l’éd. critique de Bergk, Leipzig, Teubner, in-12 ; l’éd. commentée de Kock, Berlin, Weidmann, in-8. Outre ces éditions, qui contiennent tout ou à peu près tout Aristophane, il faut citer un certain nombre d’éditions particulières de chacune de ses pièces : pour les Chevaliers, les Grenouilles, le Plutus, les Femmes aux Thesmophories, l’Assemblée des femmes, les éd. critiques de A. Von Velsen, Leipzig, Teubner, 1869-83 ; pour les Acharniens et les Chevaliers, les éd. commentées de W. Ribbeck, Leipzig, Teubner, 1864, Berlin, Guttentag, 1867 ; pour les Nuées, la 2e éd. de W.-S. Teuffel, avec notes en latin, Leipzig, Teubner, 1863, et l’éd. du même avec notes en allemand, Leipzig, Teubner, 1867 ; pour les Guêpes et la Paix, les éd. commentées de Richter, Berlin, Schneider, 1858, et G. Parthey, 1860 ; pour les Grenouilles, l’éd. commentée de Fritzsche, Zurich, Meyer et Zeller, 1845. La meilleure traduction française d’Aristophane est celle de M. Poyard, Paris, Hachette.

Paul Girard.

Bibl. : O. Müller, Hist. de la litt. grecque, trad. par K. Hillebrand, Paris, 1883, t. III, pp. 269 et suiv. — Bernhardy, Grundriss der Griech. Litteratur, t.III ; Halle, 1872, pp. 622 et suiv. — E. Deschanel, Etudes sur Aristophane, Paris. — Jules Gurard, Revue des Deux Mondes, août et novembre 1878. — Müller-Strunbing, Aristophanes und die historische Kritik ; Leipzig, 1873.

ARISTOPHANE DE BYZANCE, célèbre grammairien d’Alexandrie, disciple et continuateur de Zénodote, de Callimaque et d’Eratosthènes, maître lui-même d’Aristarque,