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ARISTOTE
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C’est pourquoi il est chanté pour ses belles actions ; et les Muses grandiront son nom et le feront immortel, les Muses, filles de Mnémosyne, qui honorent la majesté de Jupiter hospitalier et la gloire d’une amitié fidèle. »

XXYIII. Lettres. — Les lettres d’Aristote sont célébrées par Démétrius et par d’autres auteurs comme des modèles de style épistolaire. Selon Simplicius, le style de ces lettres unissait la clarté à la grâce, à un point que n’atteignait aucun écrivain connu. Diogène mentionne des lettres à Philippe, les lettres des Sélybriens, quatre lettres à Alexandre, neuf à Antipater, et des lettres à Mentor, à Ariston, à Philoxène, à Démocrite, etc. Les fragments qui nous restent étant en général inauthentiques, nous ne pouvons juger par nous-mêmes du contenu et de la forme des lettres d’Aristote.

XXIX. Aristote écrivain. — Aristote se sert de la langue attique écrite de son temps. Mais la multitude d’idées nouvelles qu’il se propose d’exprimer exerce sur la forme qu’il emploie une influence profonde. La considération des choses dans leur individualité, la distinction précise des domaines scientifiques, l’effort pour arriver à des concepts dégagés de tout élément sensible, se reflètent dans la langue et dans le style d’Aristote. De même que l’analyse logique d’Aristote ne s’arrête dans son travail que lorsqu’elle a saisi les dernières différences, les différences spécifiques, de même, dans la langue d’Aristote, les synonymes apparents se distinguent et se définissent rigoureusement. Pour définir les termes, Aristote avait deux moyens : déterminer scientifiquement la signification des mots traditionnels, et créer des termes nouveaux. Il a usé de ces deux méthodes, mais en faisant prédominer la première. Il part le plus souvent d’un terme usuel ; et, tantôt restreignant, tantôt étendant la signification de ce terme, il en fait l’expression exacte d’un concept logique. Mais, en bien des points, le langage traditionnel présentait des lacunes. Pour les combler, Aristote a créé des mots, en cherchant toutefois le plus possible un point d’appui dans la tradition elle-même. Grâce à la perfection de la terminologie qu’il a ainsi constituée, il a été le véritable fondateur de la langue scientifique universelle. — Voici des exemples d’expressions créées par Aristote : àoiat’psio ; (individu) ; aîxc ï^Oat tô iv âpyjj (pétition de principe) ; âjxsaos (immédiat) ; àvaXofftî (analyse) ; avoiJ.oiop.Eprj ; (hétérogène) ; àviicpamç (contradiction) ; <x-o8si-/.Tiy.d ; (démonstratif), àjtôoaçiç (affirmation) ; yevtxdç (générique) ; ôY/oTop. ;a (dichotomie) ; Eiweeipoidç (empirique) ; èvavtidTT) ; (opposition) ; éve’pyeia (énergie) ; iwzr^ (unité) ; ivisléy^ia. (entéléchie) ; ëÇwcepi /o’ç (exotérique) ; È7ïa-/.T(/.d ; (inductif) ; Itepo’xT) ? (altérité) ; -//Jr/.ô ; (morale) ; 0eoXoyu7J (théologie) ; xaTîjyopixdî (catégorique ) ; Xoyixo’ç (logique) ; opyavtxôç (organique) , etc.

— Parmi les termes dont Aristote s’est borné à déterminer scientifiquement la signification, on peut citer : àvTiOeai ; (antithèse) ; à^w(xa (axiome) ; Ivavii’o ; (contraire) ; ivimàpYÊtv (être immanent) ; èîiaywyr,’ (induction) ; È’aya-cov (dernier) ; loiov (propre) ; aup&ex>i%6i (accident) ; auXXoyiÇeaOat (raisonner) ; ffuveyrf ? (continu) ; auve^sia (continuité ) ; aûvoXov (tout) ; uXr] (matière) ; 6jtoxeip.evov (substrat) ; etc. — Voici enfin quelques exemples de la distinction des concepts par analyse et opposition : ye’vo ; (genre) et eÏBoç (espèce) ; xévtjoiî (mouvement) et Ivs’pyEia (acte) ; àvrlyaoïç (contradiction) et êvavtfev (opposition) ; tcoieîv (fabriquer) et Jtpdtrcstv (agir) ; oûva ;x ;ç (puissance) et evépysta (acte) ; èsayojyrf (induction) et <rjXXoyia ;j.dç (déduction ) ; oiain (essence) et auu.G^ri/.oTa (accidents) ; SiaXexTixo’î (dialectique) et à7ïo5eixTixds (démonstratif) ; jtpdrepov trj epuorst. (antérieur en soi) et npOrepov Tipô ; î]|j.Sç (antérieur à notre point de vue).

Le style d’Aristote n’est pas moins personnel que sa langue. Les anciens vantaient son abondance et son etaarme ; son discours, ditCicéron, s’écoulait en Ilots d’or. Ces éloges, évidemment, s’adressent à ses dialogues, à ses ouvrages publiés. Dans ses ouvrages didactiques, les seuls que nous possédions, on remarque l’exactitude avec laquelle sont définis les concepts, une précision et une brièveté inimitables, une rigueur et une fixité dans l’acception des mots qui rappellent le langage mathématique. En un mot, le style d’Aristote se distingue par une exacte appropriation delà forme au contenu. Mais bien souvent, surtout dans ceux de ses ouvrages qui ne sont qu’ébauchés, Aristote écrit avec sécheresse et négligence. Non seulement les phrases ne sont pas ordonnées en périodes, mais les anacoluthes et les parenthèses y abondent, au grand détriment de la clarté. Parfois aussi, au milieu de ces dissertations abstraites se trouvent des passages qui ne manquent pas d’élan et d’éloquence. Telle est la fin du chapitre vu du livre X de l’Ethique à Nicomaque : « Certes, entre les actions vertueuses, celles du politique ou de l’homme de guerre l’emportent sur les autres en beauté et en grandeur ; mais elles ne comportent pas le loisir, et elles ont leurfin hors d’ellesmêmes. Au contraire, l’action de la raison, déjà plus sérieuse en ce qu’elle est toute spéculative, n’a d’autre fin qu’elle-même, et porte avec elle un bonheur parfait et spécial qui accroît encore l’énergie de l’intelligence. Cette action se suffit à elle-même, elle admet le loisir, et elle est exempte de fatigue, autant que le permet la nature humaine : elle réunit toutes les conditions du bonheur. C’est donc cette action qui constituera pour l’homme le bonheur parlait, si du moins elle remplit une vie d’une durée complète : car rien d’imparfait ne saurait entrer dans le bonheur. Une telle vie serait plus belle que ne le comporte la nature humaine ; car si l’homme peut vivre ainsi, ce n’est pas en tant qu’il est homme, mais en tant qu’il y a en lui quelque chose de divin. Et, autant cette partie divine surpasse en excellence l’être composé d’âme et de corps, autant son action l’emporte sur les autres vertus. Si donc la raison est quelque chose de divin par rapport à l’homme, la vie remplie par l’action de la raison est divine en comparaison de la vie humaine. Et ainsi nous ne devons pas, comme on nous le conseille, n’avoir que des pensées humaines parce que nous sommes hommes, et n’avoir que des pensées mortelles parce que nous sommes mortels ; mais nous devons, autant qu’il est possible, nous faire immortels, et nous efforcer en toutes choses de vivre par la partie de nous-mêaie qui est la plus excellente. Car si ce genre de vie ne peut tenir qu’une petite place dans notre existence terrestre, par sa grandeur et sa dignité il est au-dessus de tout. »

XXX. Influence d’Aristote. — L’enseignement d’Aristote donna tout d’abord naissance à l’école péripatéticienne, qui fleurit pendant deux ou trois siècles et dont les principaux représentants sont : Théophraste de Lesbos (372 ?— 287 ?), Eudême de Rhodes (iv e siècle), Aristoxène de Tarcnte (né vers 350), surnommé le Musicien, Dicéarque de Messine (fl. 320) et Straton de Lampsaque (11. 287). Critolaus, qui fit partie de l’ambassade envoyée à Rome, en 156, par laquelle la philosophie fut introduite dans le monde romain, était un philosophe péripatéticien. L’école se distingua par ses recherches minutieuses en logique, en morale et dans les sciences de la nature ; mais la tendance naturaliste y prévalut de plus en plus sur la tendance métaphysique. Straton alla jusqu’à identifier la divinité avec la cpûai ; qui agit inconsciemment dans le monde, et jusqu’à substituer à la téléologie aristotélicienne une explication toute mécanique des choses, fondée sur les propriétés du chaud et du froid. Avec la publication des œuvres d’Aristote par Andronicus de Rhodes, vers 70 av. J.-C, commença la série des nombreux interprètes et commentateurs du Stagirite, parmi lesquels on remarque Roéthus de Sidon (i Gr siècle av. J.-C.), Nicolas de Damas (i er siècle av. J.-C.), Alexandre d’Aphrodisias en Cilicie (iu° siècle ap. J.-C), surnommé l’Exégète par excellence (Kar’ èîjoyfjv), le néoplatonicien Porphyre de Batanée (ni 6 siècle), Thémistius de Paphlagonie (iv c siècle), Phiiopon d’Alexandrie (vi°et vu siècles), Simplicius, do Cilicie (vi ft siècle). Si l’école péripatéticienne ne se compose guère que de disciples peu métaphysiciens ou de commentateurs purement érudits, les doctrines du