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SOCIALISME — SOCIÉTÉ

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à Ricardo ; c’est la théorie de l’utilité-limite, de Stanley Jevons. Ils fournissent, par suite, une explication nouvelle du profit capitaliste ; mais ils n’en condamnent pas moins celui-ci. Au point de vue pratique, ils soutiennent que l’évolution vers le collectivisme sera graduelle et que les lois protectrices du travail, l’impôt progressif, la municipalisation des entreprises d’approvisionnement, d’échange, de circulation, en limitant l’étendue de la propriété privée, sont le commencement de la transformation dans un sens collectiviste. Ils ont donné en particulier une théorie très complète du socialisme municipal, qui avait déjà pris avant eux une grande extension en Angleterre, indépendamment de toute théorie. Ils ne visent pas à créer un parti socialiste séparé, considérant comme trop forte l’organisation actuelle des partis anglais ; ils se proposent de pénétrer les radicaux de leurs idées, de manière à faire réaliser celles-ci par l’un des partis existants, en transformant peu à peu son programme.

Les syndicats ouvriers anglais, après avoir subi à leurs débuts l’influence du socialisme d’Owen, se sont tenus pendant un demi-siècle environ à l’écart du socialisme et de la politique de classe, et ils sont arrivés à constituer une aristocratie ouvrière comprenant entre le quart et le cinquième des ouvriers anglais, les plus instruits et les mieux organisés ; leur situation matérielle est assez bonne et assez stable. Mais en 1888, de nouveaux syndicats ont essayé de grouper la partie la plus misérable et la plus nombreuse du prolétariat anglais. Ce nouveau mouvement syndical et la renaissance du socialisme dans les milieux intellectuels de l’Angleterre ont amené unchangementdans l’état d’esprit des chefs des syndicats anglais. Dès 1888, le congrès des Trades Unions réunis à Bradford votait un vœu en faveur de la nationalisation du sol, et, en 1894, le congrès de Norwich votait un vœu en faveur de la nationalisation du sol et de tous les moyens de production, de distribution et d’échange. Depuis, les congrès annuels des Trades Unions n’ont pas cessé de reproduire ce vœu. Mais ils n’ont pas voulu s’occuper des élections et organiser les ouvriers anglais eu un parti de classe socialiste. En dehors de l’Angleterre, dans les autres pays anglosaxons, les destinées du socialisme ont été jusqu’à présent très diverses. Aux Etats-Unis, le rôle du socialisme est demeuré jusqu’ici insignifiant, malgré le développement exceptionnel de la grande industrie et de la concentration capitaliste. Il faut attribuer ce fait, en partie à la formation d’une sorte d’aristocratie ouvrière ayant de hauts salaires comme en Angleterre, en partie à la facilité exceptionnelle avec laquelle les travailleurs pouvaient espérer s’enrichir dans ce pays neuf et au nombre des terres libres quipermettaientàceuxqui étaient mécontents de leur sort la colonisation à l’intérieur. Dans les colonies océaniennes de l’Angleterre, dans l’Australie et dans la Nouvelle-Zélande, en revanche, l’influence du socialisme depuis une dizaine d’années est très grande. Eu Australie, il existe des partis ouvriers puissants, qui ont fait voter par les Parlements coloniaux des lois favorables aux travailleurs, de tendance plus ou moins socialiste. En Nouvelle-Zélande, les chefs du parti libéral ou progressiste, Reeves et Seddon, pénétrés d’idées fabiennes, ont transformé le parti libéral en un parti socialiste qui n’est pas un parti de classe ; ils se sont rendus maitres du pouvoir dans le Parlement néo-zélandais et ils ont fait voter des lois en faveur des travailleurs industriels et des travailleurs agricoles ; ces lois organisent l’arbitrage obligatoire en cas de grève et elles assurent à l’Etat la propriété des terres, qu’il concède aux travailleurs en échange de certaines conditions destinées à assurer la culture des terres et à empêcher ces concessions de redevenir un moyen d’exploitation au profit des concessionnaires. Ces lois, contrairement aux prédictions du parti conservateur néo-zélandais, n’ont pas empêché la production et le commerce extérieur de la Nouvelle-Zélande de croître régulièrement dans ces dernières années. Les partis socialistes et ouvriers de la Nouvelle-Zélande et de l’Australie sont des partis exclusivement nationaux, sans aucun lien avec le socialisme international de l’Europe continentale ; le parti néo-zélandais est favorable à l’impérialisme anglais. René Berthelot. Bibl. : La bibliographie du socialisme est immense. On la trouvera dans Stammhammer, Bibliographie des Sozialismus, 189V — Voir également la bibliographie de l’article Collectivisme et de tous les antres articles auxquels nous avons renvoyé. Nous nous bornerons à compléter cette bibliographie en indiquant quelques ouvrages parus en France dans les dernières années : Seignobo s, Histoire politique de l’Europe contemporaine ; chap. xxiv : les partis révolutionnaires internationaux ; Paris, 1897. — Elie Halévy, la Formation du radicalisme philosophique ; Paris, 1901, t. II, ch. h (sur Godwin). — Anton Menger, le Droit au produit intégral du travail ; trad. franc., Paris, 1900. — Tchernoff, le Parti républicain sous la monarchie de Juillet ; Paris, 1901. — Andler, les Origines du socialisme d’Etat allemand ; Paris, 1897. — Sur la crise du marxisme : B. Croce, Matérialisme historique et économie marxiste, trad. franc. ; Paris, 1901. — Bernstein, Socialisme théorique et socialdémocratie pratique, trad. franc. ; Paris, 1900. — Kautsky, le Marxisme, trad. franc. ; Paris, 1900. — Mëtin, le Socialisme en Angleterre ; Paris, 1897.

— Vandf.rvelde et Destrée, (e Socialisme en Belgique ; Paris, 1898. — Voir aussi les revues socialistes : Die Neue Zeit. Berlin ; la Revue socialiste, Paris ; le Mouvement socialiste, Paris.

SOCIÉTÉ. /. PHILOSOPHIE SOCIALE (V. Etat,

Politique, Sociologie).

II. LÉGISLATION. — Droit romain. —Le contrat de société, soeielas, a été longtemps inconnu à Rome. Dans l’Etat romain commençant, les groupements familiaux traditionnels, gentes et familiie, assuraient à l’individu les avantages d’une collaboration, sans qu’il y eût entre lui et les autres membres du groupe un lien contractuel, ni même aucun lien juridique. Lorsque la disparition des génies, la dissolution des antiques associations familiales, laissèrent le citoyen désormais isolé, livré à ses seules ressources, il lui fallut, pour certaines entreprises dépassant les moyens d’action d’un seul, faire appel aux capitaux ou à l’industrie d’autrui. De là l’idée d’une convention où plusieurs s’engagent à mettre en commun certaines valeurs (les apports), en vue d’accomplir certaines opérations dont le résultat sera commun à tous. Longtemps, cette convention demeura un simple pacte, non obligatoire. La morale seule, Vofficium, y assurait le respect des engagements réciproques. Les associés, souvent des enfants du même père qui avaient convenu de continuer l’indivision (consortes) ou des affranchis d’uu même patron (colliberli). étaient unis par un lien de confiance fraternelle (jus fraternitatis) qui n’était sanctionné par aucune voie de droit. Plus tard, vers la fin de la République, la convention entre associés fut reconnue comme un negotium civile. Le droit civil l’admit au rang des contrats. Il était naturel qu’il la sanctionnât par un judicium ex fide bona. L’action de la société (actio pro socio) fut une des premières actions de bonne foi. Dans la société devenue un acte du jus civile, il subsista pourtant quelque chose de ce jus fraternitatis qui avait été jadis la seule règle des relations entre associés : 1° Chacun des associés a des droits et des obligations identiques à ceux des autres. Aussi, n’ya-t-il qu’une seule action qui naisse du contrat. 2° La convention des parties relative à la répartition des bénéfices et des pertes ne doit pas être en opposition avec l’équité et le jus fraternitatis. De là la nullité des sociétés léonines. 3° L’action pro socio est infamante. 4° Chaque associé jouit à l’égard des autres du bénéfice de compétence. La condamnation qu’il encourt ne saurait dépasser le chiffre de ses ressources actuelles. Sinon, dans l’impossibilité de satisfaire son créancier, il serait exposé à la contrainte par corps. Or, on ne saurait admettre, entre frères, un mode d’exécution aussi rigoureux. — ■ Le contrat desociétése forme solocomensu dès qu’il y a accord des parties sur l’apporta effectuer et la répartition ultérieure des bénéfices ou des pertes. Chaque associé est tenu d’effectuer l’apport promis, d’en garantir la libre jouissance, de gérer et notamment 8e verser à la masse les valeurs qu’il a touchées à l’oc-