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N’AMASSE PAS MOUSSE.

trememnt fantastique donnait à l’homme qui le portait un aspect puissant et singulier qu’augmentait encore l’éclat bizarre de ses yeux. Tous les assistants le regardèrent avec étonnement.

Il commença par demander pardon à la société d’oser ainsi se mêler à la conversation ; il reprit ensuite :

— Comédiens, troubadours, négociants, poêtes, vous avez cherché la gloire, la fortune, l’amour ; vous n’avez rencontré que la misère : ceci prouve que pour être heureux il faut n’avoir point de désirs. Le ciel vous donnera peut-être un jour d’atteindre le but que vous avez poursuivi ; seul je vois toujours ma prière repoussée, et pourtant je ne demande que le repos !

Je suis le plus malheureux de tous ceux qui cherchent sur la terre ; permettez-moi à ce titre de vous offrir mes petits services. Voici cinq sous que je prie chacun de vous d’accepter ; si je pouvais m’arrêter plus d’un quart d’heure au même endroit, je vous donnerais davantage ; mais il y a longtemps que je parle, et il faut que je vous quitte sans délai.

Il s’éloigna en même temps, et au bout de quelques minutes on le vit disparaître à l’horizon.

— Miséricorde ! s’écria Miguel Zapata, ne touchez pas à ces cinq sous ; nous venons de voir le Juif Errant.

— Pour moi, je les accepte, reprit l’homme au manuscrit ; si c’est là le Juif Errant, il faut convenir que Dieu a bien fait de l’empêcher de s’arrêter plus d’un quart d’heure au même endroit, car c’est un métaphysicien bien ennuyeux. Puisque vous avez voyagé en France, ajouta-t-il en s’adressant à Joconde, vous devez avoir retenu un proverbe qui