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COMME VIENT LE VENT.

— Cinq à six mille francs que j’ai chez moi, et ma créance sur un débiteur insolvable.

— Diable ! mais c’est un coup terrible.

— Peuh ! on n’en meurt pas.

Paul dîna de fort bon appétit, et passa la soirée à l’Opéra.

Le lendemain, on apprit qu’il vendait tout, chevaux, voiture, mobilier ; et, vers cinq heures, on le rencontra au coin de la rue Laffitte, flânant les mains dans ses poches ; gants paille et bottes vernies avaient disparu.

— Ah ! ça, d’où viens-tu dans cet équipage ? lui dit un de ses camarades.

— De chez mademoiselle Florestine. Elle n’a pas voulu me recevoir, prétextant que ma vue la ferait fondre en larmes.

— L’ingrate !

— Bah ! les pleurs rougissent les yeux et gâtent le teint. Il faut bien que tout le monde vive !

— Et que comptes-tu faire ?

— Je pars demain. Dans ma jeunesse j’ai ouvert des livres de mathématiques ; il m’en reste assez pour monter, en qualité de lieutenant, à bord de quelque brick. J’ai réalisé vingt à vingt-cinq mille francs que je convertirai en marchandises, et je naviguerai.

— Toi ? toi, qui ne pouvais pas aller à pied jusqu’aux Champs-Élysées ?

— Oui, quand j’avais un coupé ; mais à présent que je n’ai rien, j’irai jusqu’au bout du monde à la voile.

Paul Dufresny tint parole. Il se rendit à Nantes, où les vieux armateurs se souvenaient encore de son grand’père. Il trouva bientôt à s’embarquer ; et le dandy, transformé en