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Page:Grandville - Cent Proverbes, 1845.djvu/165

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QUI SE COUCHE AVEC DES CHIENS, ETC.

cavalier qui a goûté de tous les plaisirs d’une grande ville.

Si le jeune gentilhomme avait répété tout haut les propos que sa pensée lui redisait tout bas, on aurait entendu l’étrange discours que voici :

— Parbleu ! si la vice-reine me voyait passer, ne me prendrait-elle pas pour un infant d’Espagne, tant j’ai bonne mine ? Mon père, un digne homme, ma foi ! me donne un bon cheval, vingt écus d’or, et une lettre pour Sa Seigneurie le marquis de Belcazer, grand d’Espagne, un des hommes les plus influents auprès de l’illustre Vasconcellos. « Va me dit-il, et fais ton chemin dans le monde. » J’arrive à Lisbonne, et je descends à l’hôtellerie des Trois-Mages, où tout d’abord je rencontre un honnête cavalier qui se prend d’amitié pour moi sur l’air de ma figure. Le seigneur dom César Mandurio, marquis de Torreal, m’invite à souper, et me conduit, après m’avoir fait boire les meilleurs vins, chez la senhora Dorothea de Santa-Cruz. Je trouve chez cette aimable personne les gens qui peuvent le mieux me pousser à la cour ; on fait de la musique, on danse, on joue, et je gagne cent écus d’or ; je crois même que la senhora Dorothea n’a pas été trop insensible à ma tournure, si j’en juge par les regards qu’elle m’a jetés. J’ai eu l’honneur de prêter mon cheval au noble marquis pour faire ce matin une promenade jusqu’aux jardins du grand inquisiteur, à qui il m’a promis de me présenter. Je l’attends pour dîner chez le meilleur traiteur de Lisbonne ; je suis habillé comme un fils de prince, et ce soir je reverrai la senhora Dorothea de Santa-Cruz !

Le seigneur Gamboa en était là de ses discours intimes, lorsqu’une main s’appuya familièrement sur son épaule.