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LES CONSEILS DE L’ENNUI, ETC.

— Tu te trompes, monsieur Brémond ; l’ennui, c’est le diable. Quand madame Bruneau s’ennuie, j’ai peur.

À ces mots, M. Brémond regarda M. Bruneau, haussa les épaules, prit son chapeau et sortit.

Or, tandis que les deux amis montaient en citadine, madame Brémond, à demi couchée sur un sofa, dans son boudoir, laissait flotter ses rêveries au hasard. À quoi pensait-elle ? Dire qu’elle ne pensait à rien, c’est dire qu’elle pensait à tout. Madame Brémond était une femme à qui ses amies donnaient trente-neuf ans ; elle en avait donc trente-deux ou trente-trois. Les molles clartés qui filtraient par les persiennes voilées de stores, noyaient les lignes charmantes de son visage, et teignaient d’une lueur rose les plans nacrés de ses épaules. Ce matin-là madame Brémond s’ennuyait. Pourquoi ? Sa camériste, tout au plus, aurait pu le deviner. Elle-même l’ignorait certainement.

Pour ouvrir le cœur d’une femme à l’ennui, il est mille raisons ; pour le fermer, il n’en est qu’une. Or, madame Brémond était mariée depuis dix-sept ans.

Au bout d’une heure, n’entendant pas la sonnette de sa maîtresse, la camériste entra.

— Il est bientôt midi, dit-elle, madame veut-elle que je la coiffe ?

— Comme vous voudrez, Suzette.

Tandis que Suzette présidait à ces mille détails où les femmes déploient plus de diplomatie que des ambassadeurs dans un congrès, un violent coup de sonnette retentit à la porte.

— Madame, dit presque aussitôt une femme de chambre en passant sa tête derrière une portière, il y a là un monsieur qui demande à vous parler.