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LES PROVERBES VENGÉS.

de nuit ; les hommes bâillant de leur côté et cédant à ce sommeil frais et doux que le far niente répand dans l’après-dîner sur le front des heureux habitants de Naples ? Au bout de quelques instants, vous n’eussiez plus vu dans toute la réunion un seul œil ouvert ; toutes les poitrines murmuraient à l’unisson ; c’était le palais de la Belle au bois dormant.

Mais à peine l’assemblée fut-elle assoupie que la pelouse s’agita, les arbres tremblèrent, et l’on entendit dans toute l’étendue du parc un bruit pareil à celui qui se fit dans le jardin du duc, au moment où le brave don Quichotte de la Manche et son fidèle Sancho se disposèrent à monter sur le dos de Chevillard.

Des timbales, des fifres, des clairons, des instruments guerriers, mêlés au son du tonnerre et à des décharges d’artillerie, firent d’abord un vacarme effroyable ; puis une nuit épaisse couvrit la pelouse, et, après quelques minutes d’une obscurité profonde, tout le parc parut illuminé. On vit alors sortir de toutes les allées des personnages bizarrement accoutrés ; les uns ailés, les autres diaphanes ; celui-ci haut comme un géant, celui-là rabougri comme un nain. Quand cette fantastique multitude fut rassemblée devant le château, on entendit ces paroles sortir des rangs : – Vengeons-nous, vengeons-nous ! Guerre aux téméraires qui ont osé nous mépriser, nous, les seuls dieux ; nous, les seuls enchanteurs de ce monde ; nous, qui avons inventé et mis en circulation toutes les légendes, diableries, scènes, fabliaux, histoires, nouvelles, traditions, comédies, que messieurs les poëtes et romanciers de tous les âges n’ont fait que nous emprunter pour les varier suivant leur fantaisie !