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LE LOUP LES MANGE.

pas vingt-cinq. Plus que tout autre, il tenait à ce que ses filles conservassent leur sagesse et fussent à l’abri de la médisance. Mais il eut recours à un moyen singulier et auquel Fénelon n’avait certainement pas songé dans son livre sur l’Éducation des Filles. Il les laissa courir librement le long du Lignon, sans jamais chercher à observer leurs démarches, se fiant entièrement à leur candeur, ne leur demandant compte ni des compliments que l’on semait sous leurs pas, ni des déclarations en vers et en prose que le zéphyr leur apportait : Guillot savait que les choses n’iraient jamais plus loin que l’allégorie.

Cependant, un des seigneurs du voisinage voulut, à la fête du pays, qu’on lui désignât la fille la plus sage pour lui décerner de ses mains la couronne de rosière. Ce fut à qui lui indiquerait les neuf filles du fermier Guillot, qui avaient eu le mérite d’être restées toujours pures et vertueuses au milieu des bergers les plus tendres.

Le seigneur regretta de n’avoir pas à distribuer neuf couronnes ; mais pour éviter que la jalousie se mît entre ces charmantes sœurs, il sépara la couronne en neuf parties égales et remit à chacune une rose blanche. Guillot était vieux alors, et comme il regardait avec attendrissement cette cérémonie, le seigneur, qui faisait des rosières pour se consoler d’avoir vu sa fille aînée s’échapper récemment d’un couvent très-austère sous la conduite d’un page d’Anne d’Autriche, dit au fermier :

— Maître Guillot, pour conserver ainsi vos neuf filles si pures, si sages, vous avez dû prendre de grands soins, les surveiller nuit et jour ?…

— Point du tout, Monseigneur, répondit Guillot avec