Page:Grandville - Cent Proverbes, 1845.djvu/269

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
203
DE MAIGRE POIL ÂPRE MORSURE.

— Cent personnes m’ont dit le contraire, répondis-je, et volontiers j’en ferai l’épreuve.

Sur ce, je me fis donner en détail la description du casino en question, le nombre exact des glaces, des lustres en cristal de roche, des girandoles, des trumeaux peints, des lambris ciselés en or moulu, des paresseuses, des tentures de soie à fleurs, des tapis veloutés, des chambranles de marbre, etc., etc. Mons Gritti fut appelé, reçut mes ordres en toute joie et en toute humilité, me promit le plus grand luxe et la plus grande économie, m’assura que j’aurais toutes ces choses à un grand tiers de rabais sur le prix de son illustre confrère, et, peu de jours après la livraison des meubles, m’apporta une note dont le total était effrayant.

J’allai trouver dès le lendemain le spirituel chevalier. Il déjeunait seul par aventure, mais en homme comme il faut. Le chocolat préparé remplissait la chambre d’une forte odeur de vanille ; à côté de deux flacons vides, qui avaient contenu d’excellent scopolo, mon ami dépêchait les restes d’une salade de blancs d’œufs, assaisonnée à l’huile de Lucques et au vinaigre des Quatre Voleurs.

— Je sais ce qui vous amène, s’écria-t-il, comme si mes nombres me l’avaient dit ; et, en effet, il ne faut pas être grand cabaliste pour cela. Je vous ai donné un conseil ; vous ne l’avez pas suivi ; votre homme vous a volé ?

— Je le crains, répliquai-je.

— J’en suis sûr, reprit le chevalier, et je suis sûr aussi que vos sequins s’en vont rondement d’un autre côté. La Tonina était d’une gaieté folle hier soir au Ridotto.

— Eh bien ! demandai-je, non sans un peu de confusion tant bien que mal déguisée, qu’y a-t-il de commun ?…