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ÉLÈVE LE CORBEAU,

Lucy accourait au-devant de lui et jetait autour de son cou ses beaux bras nus, avec ce naïf sourire que l’innocence fait éclore sur les lèvres des enfants, Robert se sentait le cœur joyeux et n’aurait pas donné sa ferme pour un royaume.

Un jour que Robert passait dans un vallon, il vit un rouge-gorge sautiller de branche en branche dans une haie de sureaux. C’était bien le plus joli oiseau qu’il eût jamais aperçu ; il avait le plumage pourpre, et son bec brillait comme de l’ivoire. Tout à coup, et tandis que le rouge-gorge chantait ses plus mélodieuses chansons, un épervier fondit sur lui du haut des nues. Déjà l’épervier, rasant les buissons de ses serres recourbées, allait ravir le rouge-gorge, lorsque Robert Effing saisit sa carabine et tira sur le bandit ailé. L’épervier tomba, et le rouge-gorge s’enfonça sous l’asile fleuri des sureaux.

Robert Effing achevait de recharger sa carabine, quand une voix, douce comme le soupir d’une flûte, murmura ces mots dans l’air :

— Merci, Robert ; tu m’as sauvé la vie ; je m’en souviendrai.

Le fermier tourna la tête autour de lui, et ne vit que le petit oiseau qui, de son bec, lustrait ses plumes tout au haut d’une branche.

— Est-ce que je rêve ? se dit-il.

Mais Lucy vint surprendre Robert en l’embrassant, et Robert ne pensa plus au rouge-gorge.

Or, on vivait en ce temps-là au milieu de rapines et de troubles perpétuels. Toutes sortes de gens sans aveu parcouraient le pays, ne se faisant faute d’attaquer les