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QUE DEUX ÉCHASSES.

leurs compatriotes, noble comme eux, et avec lequel ils avaient partagé plus d’une fois les douceurs de l’ancien régime.

Pour ne point retarder plus inutilement une reconnaissance que nos lecteurs ont probablement anticipée, nous leur dirons le nom des trois bannis : MM. de Valbenne et de Montelar venaient d’arriver chez le ci-devant marquis de Genilhac.

On se doutera facilement qu’ils y furent bien accueillis. Un grand feu brilla dans la cheminée, une volaille appétissante, et qui avait encore plus d’un jour à vivre, fut sacrifiée sur l’autel de l’amitié. La cave de l’arpenteur n’était pas à beaucoup près aussi bien fournie que celle de l’ancien Palais-Royal (devenu Palais — Égalité) ; mais il y sut trouver encore une ou deux bouteilles de vin du Rhin, qui, vu les circonstances, furent amplement et joyeusement fêtées. Bref, quatre ou cinq heures après leur arrivée dans cette maison bénie, les deux soldats de Monsieur le Prince, à peu près remis de leurs fatigues, et remontant avec méthode le cours des ans, racontèrent à leur hôte les incidents périlleux de leurs dernières campagnes. Les misères, les souffrances, les déceptions de toutes sortes, rien ne fut oublié ; mais dans chacun de leurs récits, et surtout vers la fin, ils laissèrent percer une sorte d’amertume contre ceux des nobles français qui n’étaient point venus se ranger sous les drapeaux de l’émigration. À les entendre, il y avait dans une pareille conduite toutes les conditions d’une complète dérogeance, et Genilhac put prendre à son compte une partie de leurs réflexions plus ou moins malveillantes.